Ruée vers l’hors

« Chaque début d’écriture est un retour à la case départ. Et la case départ, c’est un endroit où l’on se sent très seul. Un endroit où aucun de vos accomplissements passés ne compte. »

  • Quentin Tarantino

Nous y voilà. 

Comme un vinyle dont la pointe serait sortie de ses sillons, je raille mon chemin et m’éloigne : adieu “destin”, bonjour demain. Quelques coups de fil, deux-trois papiers… cela semble si peu, si facile et tout déjà semble s’effacer. Année fanée, année finie.

Il est temps de faire autre chose.

Choisir, c’est renoncer. Dans une pochette, quelques affaires, des souvenirs : pour le dernier jour, les enfants ont dessiné, gravé, déchiré le blanc du papier.

Adieu Monsieur Maître.

C’est dommage. Ça sonnait bien. Le bureau était joli, aussi. Tout y était à sa place, et l’espace d’un instant, tout ceci faisait sens. D’ailleurs, à un moment donné, entre les bancs et le tableau, croyez-le ou pas, je flamboyais.

Au sortir de l’école, l’enveloppe ne rentre pas dans mon sac ; blottie contre un cœur hésitant, elle est le dernier enfant, ma détresse d’école.

Je vais marcher.

Tout est si lourd. Le temps, le chagrin, mes chaussettes. Cela faisait quelques temps depuis le dernier contre-courant : Liberté, vieille maîtresse, où étais-tu donc passée ? ai-je fait de si mauvais choix ? dis-moi : quelle est la suite du programme ?

L’invitation au volage est presque palpable, les projets s’enchaînent et se cramponnent, accrochant la trame d’un futur déjà trop inconséquent. Canevas caniveau, nouvelle donne et vieilles fripes.

Cent mètres engloutis et déjà cent vies. Je crois qu’il est temps pour un cookie.

Les biscuits ont été cuisinés par les enfants – décidément, ils savent tout faire. Recette fabuleuse, biscuits passables. A chaque bouchée, mes yeux ajoutent un ingrédient secret, discret, pour un résultat sucré-salé.

Dans le ciel, le soleil a des airs de tâches. Les jours rallongent, la lumière reste un peu plus longtemps que d’habitude. J’ouvre un peu l’enveloppe, histoire de discerner quelques dessins, avant de relire une note trombonnée. Merci d’avoir été là. Formule d’usage, mots de circonstance. Sincères ? pourquoi pas. C’est fou le nombre de vérités que les gens écrivent sans s’en rendre compte. Merci d’avoir été là, c’est ça. Et dans un reflet, parmi les lointains cyprès, la tragédie plate, le fait d’hiver.

De la verdure, je longe un parc. La végétation est humide, presqu’enrhumée. L’ensemble fait se côtoyer pluie d’ors et vieille boue. Une vieille image me revient alors, une agréable construction, de celles qui se répètent encore et encore jusqu’à ce que vous la fassiez éclore. “Le jardinier, perdu dans ses pensées”. Aha, ça mérite bien un sourire triste.

Vous savez, même si je suis un fervent défenseur de l’inné, je ne crois pas au destin. Je me réjouis des vocations, la plus belle sécurité de l’emploi qui soit, mais cela reste de la poudre aux yeux. Ou au nez, tout dépend de ce que vous prenez. Je savais que je ne serai pas vraiment un psychologue, pas vraiment un professeur des écoles ; à défaut d’avoir eu la confession, je me serais contenté de la profession… et maintenant, quoi ? rédacteur professionnel, rédactologue pour les intimes… hmm, ça sonne presque médecine parallèle. Et pourtant, c’est peut-être ce qu’il me faut. Dans tout cet absurde, parmi tous ces touts (et sans oublier les riens), ce machin sonne bien.

(sourire)

Moi qui m’étais juré de ne jamais bosser dans l’écriture. Il faut croire que le destin déteint sur mon chemin.

Le jardinier, perdu dans ses pensées. Oui, c’est un peu ça. Beaucoup de choses vont changer dans ma vie, joyeuse déroute. Pas mal de sacrifices et de renoncements, tout ça dans le seul but de pouvoir à nouveau se regarder en face et murmurer “je sais ce que je vaux, je sais ce que je vis, je sais ce que je veux”. Fidèle à soi-même, effrontément et non sans superbe.

Et voilà : je parle, je parle, et il est déjà trop tard pour décrire le coucher de soleil. Et croyez-moi, les lumières blafardes de l’artère où je m’engouffre n’ont pas le même éclat. Les voitures laissent des traînées sanguines qui zigzaguent dans la nuit. Noir crevé et nuages boursouflés sous le ciel hôtelier. Je te salis ma rue pleine de crasse.

L’enveloppe est toute perlée, quelques miettes de cookies glissent encore à l’intérieur. J’atteins mon bâtiment, mon étage, ma porte, ma chambre. Ici aussi, un bureau… le seul et l’unique ? Si seulement. Rien n’arrête les sursauts de la vie.

J’avais surnommé ma classe les “petites sexions d’assaut”. On était une équipe, une belle équipe… C’est une chose de rendre l’uniforme, c’en est une autre de saluer les copains.

Chaque dessin est signé ; on croit deviner derrière les thèmes et les symboles ceux qui ont compris que ce serait le dernier papier pour Monsieur Maître. J’essaie de me remémorer les parcours de chacun en faisant glisser mon doigt le long de leur signature biscornue… des traits hésitants, de courageuses alliances de couleurs, et voilà leur vie qui se signifie une dernière fois. C’est grandiose, c’est absurde, c’est vécu et survécu… et puis la dernière feuille, et puis plus rien.

Le passé, dernier présent avant l’après,
Dans une ultime concordance des temps,
Sans cesse mouvants.

Merci.

Teckhell

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.