Ressources humaines

« Chaque filet d’eau a son chemin. »

  • proverbe bambara

Les gens prennent place dans l’amphithéâtre. Certains rient, d’autres se concentrent déjà. Pour quelques-uns, la route s’arrêtera ici ; d’autres deviendront des psychologues. Peut-être même qu’ils écriront des livres ? Qui sait.

Et au milieu, moi. Scrutant cette vaste assemblée. Bien peu de garçons, essentiellement des demoiselles. Les sages tenues de printemps laissent peu à peu place aux légères étoffes estivales. Parmi ces jeunes filles, il y en a de vraiment belles. D’autres, brillantes, charismatiques. Il y en a même qui ose être les trois à la fois. Parmi ces jeunes filles, il y en a que j’aurais pu aimer. 

Au sortir de l’examen, je foule doucement le chemin qui m’amène à la sortie. Je me dis que c’est peut-être la dernière fois que je viens dans cette faculté, que ça n’est peut-être pas plus mal. 

Ça y est, je suis seul. Le moment est idéal pour sortir une clope, craquer une allumette, et fumer. Ou bien, vider des bières en regardant l’horizon. Mais je n’ai rien de tout ça ; tout ce que j’ai, c’est 3 ans de psychologie et une vie qui fout le camp.

Je suis libre. Désespérément libre.

“Vous savez, on panique toujours lors de la première fois (rires dans l’assemblée)… La première fois où on est confronté à une situation extraordinaire, où on prend conscience d’un sentiment, d’une émotion. On n’aimera jamais comme la première fois, et c’est valable pour tout. La première fois, c’est faire face à l’inconnu ; à partir de là, notre comportement ne sera plus vraiment le même. On gagne au fil des années quantité d’expériences qui, si l’on n’y prend pas garde, finissent par dépassionner jusqu’à la vie.”

“Si ça vous amuse, appelez-vous créateur. Mais au fond, vous ne créerez jamais rien. Tout est déjà là. Au mieux, vous êtes des assembleurs ; au pire, des copieurs.”

Ces phrases reviennent souvent au cours de ma vie. Bien qu’elles aient été prononcées lorsque j’étais au collège, leur empreinte demeure intacte. Oh, bien sûr, on peut critiquer leur contenu, leur validité. Mais ce sont des mots que des professeurs ont prononcé, ont osé prononcer à des petits cons. Ils ne nous devaient rien, et ont pourtant, l’espace d’un instant, chuchoter leurs doutes, leurs vies.

Je ne me rendrais probablement compte de l’influence de ces trois années de licence qu’après-coup. Quand le recul aura pris le pas sur mon ressentiment. En attendant, le calme. Le vide. Quelques réflexions qui reviennent depuis ma première année, mais sinon… le lent oubli.

J’ai toujours eu la critique moqueuse, féroce. J’avoue que j’ai eu de quoi rassasier mon appétit en trois ans. Ne serait-ce que par les innombrables personnes qui sont entrés en psychologie (et pour certaines, qui y sont encore) et, à l’issue du premier cours, étaient en capacité de sonder l’âme humaine, de soigner le monde. On aurait dit des dieux dans un bac à sable, invoquant des concepts à la pelle. Cela m’agaçait d’autant plus que je sortais d’une terminale littéraire, où j’ai mangé et mangé et mangé de la philosophie pendant des mois.

Mais ne faisons pas des généralités ; il s’agit ici de la voie clinique, dans laquelle j’ai évité de m’engager. J’ai préféré la sociale, davantage fondée sur les interactions, la logique des comportements ; plus utile au quotidien, moins pompeux. Ça collait avec mon éternelle démarche de survie, d’adaptation, de contrôle ; j’aimais, et j’aime toujours avoir l’ascendant, par quelque moyen que ce soit.

Une promotion, ce n’est pas une classe. C’est trop grand, sans solidarité, sans chaleur. Je n’ai pas réussi à m’y installer, tout juste à vivoter. De mon impuissance je garde un mépris continu et tenace pour l’institution universitaire. Et maintenant, quoi ? L’IUFM, ou comme ils l’appellent : “Master des Métiers de l’Education et de l’Enseignement”. Toujours l’ombre de la faculté, espérons que ce soit différent cette fois-ci.

J’ai tenu trois années, mon orientation change encore. Je ne sais pas où tout cela finira. Je connais beaucoup de gens en écoles préparatoires, aujourd’hui en grandes écoles. Eux devront attendre encore quelques années pour faire de vrais choix. Qui a le meilleur sort ? Ce n’est pas une vraie question, tout au plus un doute mélancolique.

Quelquefois, quand j’apprends -encore- des mots, je m’émerveille. Le son, tout d’abord. Et puis, l’agencement des lettres, savant et minutieux. Et enfin, le sens, qui capture une part de notre monde et le relâche à chaque évocation. Avant, je voyais dans chaque lecture une architecture nuageuse, sublimant le ciel blanc.

“manichéen”. Le bien, le mal ; le blanc, le noir. Plus qu’une dualité, un dualisme. Difficile de faire plus simple. Beaucoup de gens -et à juste titre- se revendiquent gris. C’est pratique. Une réponse simple, distante, et on laisse à l’autre les fantasmes quant à sa personnalité. Si défaut il y a à révéler, ils seront le plus souvent “socialement acceptables”. On ne raconte jamais n’importe quoi à n’importe qui.

Quelle fierté de se savoir unique, et quelle peur… La vie, ce rêve que l’on tente vainement d’expliquer à l’autre, juste avant de l’oublier.

Teckhell

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