L’hésitation
Cérémonie de remise de diplômes, on demande à chacun de s’exprimer sur ses meilleurs moments passés sur les bancs de l’université. Vous avez déjà l’anecdote en tête :
« Je me rappelle très bien ce moment / de de ce moment : nous étions en train de bizuter un cochon d’Inde quand, soudain, Pat’ l’autruche s’en est mêlée… Tu te souviens / te souviens de l’endroit où on l’a enterrée, Jackie ? »
Hésitant et ne souhaitant pas passer pour un cornichon, vous préférez parler de la fois où vous avez vendu l’université sur LeBonCoin.

La règle, ses sous-règles et des exemples idoines
La confusion est fréquente (si si) entre ces deux verbes si étroitement liés par le sens et la construction. L’Office québécois de la langue française a tenté une synthèse :
« Ainsi, souvenir n’était pas, à l’origine, un verbe pronominal [mais un verbe impersonnel] (on disait alors : il me souvient de… tournure aujourd’hui archaïque ou littéraire) ; il l’est devenu au XVIe siècle sous l’influence de se rappeler. Par ailleurs, on a pris l’habitude d’employer se rappeler avec la préposition de sur le modèle de se souvenir de. »
Bref, c’est un peu la pagaille et il va falloir débroussailler tout ceci. On va se concentrer pour cette question de langue sur leurs différences de construction, qui présentent quelques subtilités selon que ces verbes sont suivis d’un nom ou d’un infinitif. Une fois n’est pas coutume, je vais pinailler : les règles qui vont être évoquées sont de moins en moins respectées dans l’usage moderne.
.
« Se rappeler » / « se souvenir » suivi d’un nom (ou d’un pronom)
Rappeler étant un verbe transitif direct (qui se construit donc avec un COD), on doit dire se rappeler quelqu’un / quelque chose et non de quelqu’un / de quelque chose. Rassurez-vous, la faute n’est pas récente : elle est attestée dès le XVIIIe siècle et s’est vraisemblablement formée par analogie avec le verbe se souvenir qui, de son côté, se construit avec de.
- Je ne me rappelle pas son nom / je ne me souviens pas de son nom (j’étais pompette).
- Je me rappelle le bon vieux temps [et non du bon vieux temps].
- Un soir, t’en souvient-il ? nous voguions en silence. (vers de Lamartine)
Les choses deviennent un peu moins naturelles en phase de pronominalisation. Ainsi dira-t-on :
- Pour une chose : Je me la rappelle ou Je m’en souviens[et non Je m’ rappelle].
- Pour une personne : Je me la rappelle ou Je me souviens d’elle.
- C’est tout ce que je me rappelle/ C’est tout ce dont je me souviens.
- Souviens-t’en, souvenez-vous-en. Souvenez-vous de cela ou Rappelez-vous cela.
- Que vous rappelez-vous ? / De quoi vous souvenez-vous ?
Mais, en vertu de la règle de l’incompatibilité entre les pronoms personnels, on dira de préférence : Je me souviens de vous (et non Je me vous rappelle ni Je me rappelle de vous), Te souviens-tu de moi ? (et non Te me rappelles-tu ? ni Te rappelles-tu de moi ?), le français n’admettant pas qu’un verbe pronominal comportant déjà un pronom objet puisse en avoir un second de la première ou de la deuxième personne.
.
« Se rappeler » / « se souvenir » suivi d’un infinitif
Se rappeler se construit de préférence sans la préposition de quand il est suivi d’un infinitif passé, obligatoirement avec la préposition de quand il est suivi d’un infinitif présent (exprimant une action qui reste à accomplir).
- Je me rappelle l’avoir vu.
[de préférence à Je me rappelle de l’avoir vu, tournure grammaticalement correcte − il s’agit d’un de de liaison comme dans Peut-on espérer (de) vous revoir ?− quoique vieilli ou littéraire, selon les sources, et prêtant à confusion avec la construction fautive se rappeler de + nom] - Rappelle-toi de passer me voir avant de partir (= pense à passer me voir).
En revanche, on écrira correctement se souvenir de + infinitif passé :
- Je me souviens de l’avoir vu.
[De préférence à Je me souviens l’avoir vu, que l’on rencontre parfois sous l’influence cette fois de… Je me rappelle l’avoir vu. A ce stade, c’en devient presque incestueux.]
Par ailleurs, on notera l’accord des participes passés :
- Elle s’est souvenue d’avoir pleuré (se souvenir est un verbe essentiellement pronominal)
- Elle s’est rappelé avoir fauté (se est COI)
- Elle s’est rappelée à son bon souvenir (se est ici COD placé avant le participe passé).
.
Ultimes remarques
Remarque #01 : Il existe un seul cas où se rappeler peut se construire correctement avec en ou dont : lorsque ces derniers sont compléments du nom et non du verbe.
- Cette bière, je m’en rappelle toutes les saveurs (= je me rappelle toutes les saveurs de cette bière).
- C’est un hymne mortuaire dont je me rappelle bien le refrain. ( = je me rappelle le refrain de cet hymne mortuaire)
De même, on écrira correctement :
- Tout ce que je me rappelle de la tartiflette, c’est… (de la tartifletteest ici complément de tout, pas du verbe : Je me rappelle tout de la tartiflette).
- Je ne me rappelle pas de qui vous parlez (de se rattache ici au verbe parler, pas à se rappeler).
Remarque #02 : On notera que tous les de ne se valent pas ! Ainsi ne commet-on pas de solécisme (erreur de langage enfreignant les règles de la syntaxe) en écrivant : Il se rappelait de vagues détails de leur conversation, où le premier de n’est pas préposition mais article partitif. De même : Il se rappelait les bons moments passés à son côté mais Il se rappelait de bons moments passés à son côté (de article partitif).
Remarque #03 : Certains lexicographes font une distinction entre la mémoire passive qu’implique se souvenir (= reconnaître un souvenir qui se présente de lui-même, à l’instar de la construction impersonnelle du verbe à l’origine) et la mémoire active de se rappeler (= appeler à soi un souvenir, par l’action de sa volonté). Choisissez votre camp, l’affrontement sera sanglant !
Remarque #04 : Se rappeler au bon souvenir de quelqu’un est une formule de politesse par laquelle on prie son interlocuteur de transmettre ses amitiés à quelqu’un (Rappelez-moi à son bon souvenir, vous serez chou).
En espérant avoir fait la lumière sur toute cette affaire, je vous dis :
à plus tard… au plus tôt !
Rémi L.
Source : OQLF