Avant de traiter cette question de langue (l’une des plus importances sources d’erreurs en français !), je souhaitais revenir sur l’origine du doublement de consonnes. On doit ces fameuses règles aux moines copistes du Moyen-Âge, payés à l’époque au nombre de caractères par manuscrit. Flairant la bonne affaire, ceux-ci ont décidé de doubler de nombreuses consonnes de manière arbitraire, pour le plus grand bonheur des générations futures…
Cette précision apportée, il est temps de mettre les mains dans le cambouis !
Le breffage
- Neuf consonnes sont souvent doublées : c, f, l, m, n, p, r, s et t.
- Cinq consonnes ne sont jamais doublées : j, q, v, w, x.
- Trois consonnes sont très rarement doublées : b, d et g.
- Pour les consonnes h, k et z, il y a quelques redoublements correspondant dans la plupart des cas à des mots empruntés.
L’inventaire fini, voici quelques exemples pour vous figurer la plupart des doublements :

Pour les mots en hh, kk et zz, on pourra penser à : wahhabisme, wahhabite, akkadien, drakkar, blizzard, grizzli, jazz, jazzique, pizza, mezzanine, razzia…
C’est vrai que les drakkars étaient doués pour les razzias.
Pour finir, vous pourrez rencontrer trois formes de consonnes doublées :
- celles qui ne « s’entendent pas » : acacia vs. accord, adresse vs. addition…
- celles qui « s’entendent » : asile vs. assistance, immobile, accéder
- les formes dites « aberrantes » : combattre vs. combatif (les rectifications orthographiques de 1990 ont fait pas mal le ménage de ce côté-là)
L’hésitation
Sous l’emprise de substances stupéfiantes, vous consultez YouTube à une heure tardive. Parmi les chaînes qui pullulent, vous tombez sur une professeure des écoles qui fait des dictées. Armé(e) de votre meilleur crayon, vous écoutez attentivement la fonctionnaire :
« Pour la fabrication du cidre de glace, les pomiculteur / pommiculteurs doivent utiliser des pommes cueillies très tard en automne. Certaines années, c’est dans un verger déjà eneigé / enneigé qu’on les aperçoit tirant un chariot/charriot ou une charette / charrette / charète / charrète remplie de fruits : balade / ballade pittoresque / pitoresque des plus intéressantes pour l’œil d’un touriste ! »
Vous hésitez sur bien des mots, d’autant plus que vous voyez double… bonne nouvelle, vous savez encore écrire pomme pendant un bad trip. C’est cependant un coup dur lorsque vous réalisez que vous avez rédigé la dictée dans son intégralité sur la table à manger et ce au fer à souder.
Pendant que les pompiers vous emmènent, vous vous jurez de retrouver cette vidéo pour avoir le fin mot de l’histoire.

Quelques principes et deux-trois tableaux
La question des consonnes doubles mériteraient en soi un traitement en plusieurs articles, nous allons pour le moment rester en surface et relever les mécaniques principales.
Les consonnes doubles sont parfois associées à certaines prononciations. Par exemple, le s doit être doublé entre deux voyelles pour être prononcé [s] comme dans délasser et fission; la voyelle e est prononcée [E] devant plusieurs consonnes doubles (aberrant, échelle) ; le e est prononcé [a] devant un m doublé (femme, évidemment).
Le doublement ou non d’une consonne dépend de son entourage (lettres qui précèdent ou qui suivent) et de sa position dans le mot. Par exemple, le doublement d’une consonne ne survient presque jamais après une autre consonne, après la lettre e prononcée [e], après une voyelle surmontée d’un accent, après les groupes de lettres ai, au et oi. Rappelons enfin que l’on n’observe pas de consonnes doubles comme premières ou dernières lettres d’un mot, sauf dans certains mots empruntés à des langues étrangères (jazz, buzz…).
On note par ailleurs que les consonnes doubles apparaissent souvent à la jonction d’un préfixe et d’un radical, principalement lorsque la lettre finale du préfixe et la lettre initiale du radical sont identiques (surréaliste). Les préfixes qui entraînent le doublement sont :
- inter-, sur-, trans- ;
- les préfixes changeants ad- (qui devient ac-, ap-),
- in- (qui devient il-, im-, ir-),
- ob- (qui devient op-) et sub- (qui devient sup-) ;
- les préfixes a-, de-, dé- et re- suivi d’un s.
Pour les amateurs de tableaux, on peut faire ressortir quelques tendances pour ce qui est des consonnes doubles en début de mot.

On constate aussi le doublement de la consonne à la jonction d’un radical et d’un suffixe. On notera notamment les finales en -mment d’un grand nombre d’adverbes et les dérivés des mots se terminant par -on (pardon/pardonner). Toutefois, il existe des irrégularités dans plusieurs familles lexicales, par exemple chatte/chaton, homme/homicide, monnaie/monétaire.
Le doublement des consonnes apparaît aussi en finale dans les formes féminines de noms et d’adjectifs. On notera notamment les finales el/elle (réelle), eil/eille (pareille), en/enne(aérienne), on/onne (patronne) et et/ette (muette). On remarque aussi que certaines finales dans lesquelles la consonne est double sont plus utilisées pour des noms féminins, par exemple -elle (échelle, gamelle, nacelle) et -ette (assiette, bicyclette, recette).
Enfin, on trouve aussi des consonnes doubles dans les formes conjuguées de certains verbes, notamment les terminaisons -elle et -ette de certains verbes en -eler et -eter ; la terminaison -enne des verbes tenir et venir ; la double consonne rr à l’indicatif futur et au conditionnel présent des verbes acquérir, courir, envoyer, mourir, pouvoir et voir ; et la double consonne ss à l’imparfait du subjonctif des verbes tenir et venir et de leurs composés.
Avec ces six principes, vous devriez être plus détendus quant aux fins et débuts de mots. Pour autant, comment se débrouiller à l’intérieur du mot ? L’orthographe lexicale étant le résultat de l’usage et de choix plus ou moins cohérents de grammairiens, votre raisonnement logique ne suffira pas… A vous d’être attentif/ve et d’exercer votre mémoire, en vous appuyant notamment sur les homophones. Ceux-ci se distinguent par la présence d’une consonne simple ou d’une consonne double, avec parfois une modification de voyelle.

Après tous ces récapitulatifs un peu laborieux et un brin assommants, je laisse le mot de la fin aux Rita Mitsouko avec le début de la chanson « Les Consonnes » :
« Pour que les consonnes sonnent classe
Faut que j’évite que ma langue se tasse
Et faut vite que je dise une phrase, euh…
Qu’est-ce t’as ? T’as peur qu’j’te bute ?
T’as peur que j’ te baisse le calbut ?
Ou bien t’as p’tête peur qu’une femelle en rut
S’l’enfonce en dedans comme une brute ! »
En espérant avoir fait la lumière sur toute cette affaire, je vous dis :
à plus tard… au plus tôt !
Rémi L.
Post Scriptum : Voilà des dictées pour les sapajous de la langue française.
Sources : OQLF et Cap-Concours