
J’ai souvent écrit sur la Vie, sans même l’avoir vécue. Drapé dans une sagesse chinée au fil de mon parcours, je suppose que c’était ma manière de la contenir et de la définir. L’Humain a toujours cherché l’ordre et la logique, fût-elle irrationnelle, posant de la valeur là où il établissait un sens. Alors, face à cet arbre des possibles que constitue la Vie, nous nous répartissons le vaste désert de l’existence. Il nous appartient alors de récolter les graines qui, par la suite, occuperont les arpents et repousseront le sable.
J’ai aussi beaucoup réfléchi à ma vie, mais j’avoue ne pas l’avoir beaucoup entretenu. Bien loin d’un jardin bien soigné, elle oscillerait plutôt entre la jachère et la friche. Ce n’est pas tant la terre qui me fait peur : bien des fois j’ai plongé mes mains dans ses entrailles noires et fertiles, et j’en ai ressorti de belles saisons. Mais j’ai également frayé avec son inconstance, son absurdité, son ingratitude… tant de jeunes récoltes n’ont pas survécu.
Ah ! Comme cette métaphore filée est commode ! Voyez comme elle donne de l’épaisseur à un discours décharné, en perpétuelle guerre contre lui-même. Contemplez son aridité, sa sécheresse : c’est la verve d’un homme qui s’éteint, bien qu’entouré de soleils.
Je pense que certaines images gagneraient à être vécues, de manière à pouvoir s’en emparer et en ressortir grandi. Songez aux gens qui cultivent, à ces personnes qui déclenchent et entretiennent la vie. Ne sont-ils pas plus proche de la grâce que n’importe quel écrit ?
Je suppose qu’il y a quelque chose d’inhérent là-dedans : l’écrit fixe au sein de sa propre temporalité. Les idées, les symboles et les images continuent de croître et d’éblouir dans une matrice en retrait, soucieuse de préserver toutes ces choses qui, autrement, fanent si vite.
Pendant longtemps, j’ai cru que l’écriture me sauverait, grâce à l’élégance exceptionnelle d’un langage au-delà de tout. Il constituait ma ligne de flottaison, tandis que consciencieusement je brassais de l’air : qu’il reste un simple souffle ou devienne tempête, j’ai aimé chaque mouvement. Mais l’air, aussi vital soit-il, n’a jamais suffi… j’aurais aimé le comprendre avant, pour pouvoir me repaître et jouir quelques années de plus de tant d’autres manières. Défait par cette nouvelle secousse, cet éternel dérisoire, j’ai déposé ma plume fatiguée sans pour autant empoigner un nouvel objet.
Aujourd’hui, mes mains tapotent et papotent au-dessus d’un clavier qui crépite, presque insensibles aux mots qu’elles convoquent. Elles sont de petits artistes sans talent, car depuis longtemps l’oeil et le coeur ne leur parlent plus. Comment l’être peut-il se développer, dès lors que toutes ses parties existent de leur côté ?
Quand je me regarde dans le miroir, je vois des segments, des bouts, des restes. Je vois une imposture qui fonctionne, peu importe l’agonie qui l’étreint. Je vois un indicible si honteux, si douloureux qu’il ne tolère même pas que l’on croise son regard.
Plus tôt, nous parlions de désert. Cela me rappelle les ergs, sableux, et les regs, pierreux : si j’ai pu éviter les premiers, les seconds ont progressé jusqu’à imposer leur dureté, à perte de vue.
Airelle