« Vous oubliez que les fruits sont à tous et que la terre n’est à personne. »
- Jean-Jacques Rousseau
Toi, mon toit,
J’ai aimé t’écrire, une dernière fois. Glisser la lettre dans l’enveloppe, sagement, doucement, comme une heureuse cagnotte. Je suis sorti, j’ai salué les pêcheurs ; et puis la boîte aux lettres, et puis cette lettre.
Tout est si simple, j’y vois mille brises. Ces lignes ont été caressées par le sel et la mer, sans une bruine. Au loin, la tempête est parfaite, tu comprendras pourquoi j’ai choisi ce timbre :
Je ne sais pas vraiment encore ce que je vais y mettre… un mot d’amour, peut-être ? C’est compliqué, tu sais, je ne sais jamais comment tu m’aimes. Tu me vois comme ceci, je me vois comme cela, alors que je suis juste moi. Moi, qui suis trois tandis que toi, tu m’émois… ah, je jongle encore avec les mots ! ces petits coussins qui ne valent rien, à l’ombre de tes seins.
Cela me fait repenser à ce que dit Red, dans notre film : “Il vaut mieux ne pas dire certaines choses. Je crois que c’était quelque chose de si beau que ça ne peut pas s’exprimer avec des mots et c’est pour ça que mon cœur en souffre.”. Tu te rappelles ? Des fois je laisse le film tourner, sans le regarder, à faire autre chose. C’est tout un monde qui pépie, c’est magnifique.
Je sais que tu désapprouves ces odes. La vie n’est pas notre vie, car tu es avec lui. Tous ces voyages, ces souvenirs survenus, arrivés et maintenant tus… une teinte affreuse encre ces jours-ci le bateau nostalgie.
J’aurais aimé quelque chose de similaire, pour nous. Un truc doux et qui dure à la fois, qui retarderait tout ce qui dans nos vies ne va pas. Je t’aurais aimé, si tu m’avais laissé…
Si je t’écris, une fois de trop, c’est pour te rappeler que cette histoire – la tienne, la mienne, la nôtre, choisis ta version – était belle. Belle comme une mise en abyme, comme un printemps engourdi qui s’anime, enfin. Tu crois que sans nous, cela n’existe plus ? en es-tu si sûre ? Quand donc comprendras-tu qu’une œuvre ne disparaît jamais vraiment…
Évanescence, évanescence,
Chantonne la balance….
Reviens-moi, deviens-toi.
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A la base, c’est un exercice de style. Puiser dans sa culture générale trois œuvres que l’on juge belles, et s’en inspirer pour créer une quatrième beauté, combinaison des trois précédentes. Je trouvais cette consigne stupide, la tâche m’apparaissant comme un crève-cœur. Pendant des mois en effet, à mon regard, la beauté avait résidé en une seule personne. Elle était une certitude, et il y a quelques semaines encore, je ne voyais qu’elle pour répondre à cette question…
Comme vivoter ne faisait pas partie de mes priorités, j’ai choisi la déchirure plutôt que la rupture, bien plus adaptée aux désespoirs unilatéraux. On ne peut rompre ce qui n’est torsadé ; lorsque cela vous agite l’âme, il ne reste plus qu’à arracher, ponctionner et passer la balayette lorsque la force vous manque.
Pourtant, je regrette quelquefois de m’en être tenu aux maux. S’il n’est pas certain qu’elle méritait une dernière affection, mes sentiments, eux, pouvaient prétendre à un autre sort. Après tout, vivre accompagné de tendresse et d’espoir pendant tant de mois n’est pas chose si difficile. Si mon cœur a tant souffert, ce n’est que par un manque de jugement considérable que l’on mettra sur le compte de l’affre et la demande. Le sentiment, lui, était superbe.
Je pourrais proroger sur ce que cette jeune femme a pu m’apporter mais, si je devais asserter une seule réalité, la voici : elle fut une muse. Née d’un hasard paroxystique, elle restera ; une empreinte plus qu’une impression, une allusion plus qu’une illusion.
Cela nous ramène à ce devoir sur table. J’ai rapidement trouvé de jolies œuvres que j’ai jetées ensuite dans la mer blanche, qui longe la page. Au fur et à mesure que j’écrivais ces lignes, celles qui avaient tant tardé à venir, le soulagement m’étreignit. Je rendais enfin justice : à elle, à moi, à ces si belles heures passées à ses côtés ou encore tout seul. Il y a de la fiction, de la forme : le travail est scolaire, ce parcours professionnel. Mais mon être arpente les parallèles, et j’écris pour elle.
Dans ce dernier silence, à la lancinance, j’ai joué et j’ai dansé.
Aimer une dernière fois, avant de refaire le monde.
Teckhell