« L’alcool nous fait ressembler à ce que l’on devient. »
- Serge Joncour
“Vous buvez, monsieur ?
– Non, je suis clean. Je ne bois pas, ne me drogue pas, ne fume pas. Un vrai capitaine de soirée !
– Mais vous n’avez pas de voiture ?
– Non.
– …
– …”
Chaque fois que je sors de l’hôpital, ce sont les mêmes gestes. Un regard alentours, pour vérifier que le monde ne s’est pas effondré. Puis un regard vers le ciel, avec un petit rire. Je suis toujours là.
Ça fait bien longtemps que je me suis fait à l’idée que rien ne me guérira. 4 ans de traitements divers, de tests sur ma personne n’ont rien changé. Tous les mois, je m’effondre ; ma promotion toute entière (coucou) a fini par me connaître suite à mes frasques dans les amphithéâtres de la faculté.
Comme un chien fou, je poursuis une fuite en avant. Les repères sont des choses que je ne me permets plus. Pour cette partie, je joue le temps. C’est moins un désespoir qu’une témérité canaille : une dernière colère, avant de reprendre la route.
Pendant 4 ans, je n’ai plus bu. J’avais à cœur de mettre à profit cette retenue, pour observer mes semblables. Je dois avouer que j’ai régulièrement éprouvé de la condescendance, voire carrément du mépris pour mes consorts ; libres, insolents. Mais la perte de contrôle a ses revers : on finit toujours par se trahir. Et ce ne sont pas là des confessions, non… juste quelques débris de ce qu’on est.
Souvent, lorsque la fête battait son plein, je me mettais à ranger, collectant les tessons, générant l’ordre autour de moi. Marcher droit lorsque les autres titubent est un plaisir qui jamais ne se dément.
Mais les rancœurs cachent souvent des impuissances. Cette amertume a accompagné le deuil d’une certaine insouciance. Aujourd’hui, je regrette mon comportement et mes considérations passées, aussi pertinentes qu’elles soient.
Récemment, je me suis remis à boire durant les fêtes. Dans mes mauvais jours, je vous dirais que c’est parce que c’est un comportement social, paresseux, nécessaire. Lorsque je suis de bon poil, je vous confierais qu’être grisé avec ses amis vaut toutes les couleurs du monde. Heureusement, j’ai l’alcool joyeux.
La littérature et l’alcool ont toujours eu des rapports privilégiés. Et bien que je connaisse d’autres moyens d’entrevoir la vérité, et de toucher l’inspiration, je dois admettre qu’avoir un coup dans le nez permet d’accéder à quelques beautés.
Toute la majesté de cette création tient évidemment dans le fait qu’elle est éphémère, et que l’on ne se souviendra de rien au petit matin. Combien de fois ai-je refait le monde, parfait mille sagesses ? C’est une vie qui ne peut nous suivre…
Il arrive que le lendemain, je trouve griffonné sur quelque papier des paroles revenues de l’abîme. Chaque mot revient alors à l’esprit, comme une évidence ; conscient et inconscient levant leurs verres, ensemble.
Toutefois, dans l’ébriété, il est une intimité plus bouleversante encore. Je ne sais pas à quel domaine on peut ramener ça. Si cela relève de l’amour, de l’amitié, de l’humanité… Qu’en sais-je ? Tout ce qu’il faut, c’est un peu de calme et les bonnes personnes. J’aime particulièrement les balcons, antichambres du monde.
Il suffit d’un peu de pluie pour qu’il neige. La bascule est facile, presque aérienne. Deux brumes imprévisibles qui se croisent, dans un ciel en perdition, révélant alors l’architecture sublime de nos rapports.
Tous ces flocons, ces mots et belles paroles volettent un moment avant de se poser en contrebas, et fondre, avant l’obscurité.
Le lendemain, quand le jour fait volte-face, je me réveille souvent tôt. L’occasion d’observer quelques sommeils… Quand on dort, c’est difficile de mentir. Toutes ces vies assoupies, comme autant de pépites dans le lit de la rivière…
C’est une galerie de drames, de fêtes, de vies indomptables, qui se succèdent. Mais de nos rêves le lendemain, nul ne sait ce qu’il advient.
Teckhell