Le Jura des Grands Dieux

Le Jura – terre de serments s’il en est – accueille cette semaine d’août une quinzaine d’intrépides. Il aura fallu trois voitures, quatre trains, deux jours et des heures de route pour nous voir tous s’échouer à bon port près des montagnes. Sur nos chemins qui se rapprochent, le vert bien ordonné sinue dans le calme avec un gris rurbain.

Les premiers arrivés déjà atteignent et profitent des Roches de Vaux, qu’inondent la verdure et le bois. L’eau, parsemée, s’écoule avant de choir et de teinter les contrebas. Tout autour semble avoir été dessiné par son pinceau clair et tranquille.

Le mardi lendemain, c’est la cascade de Vulvoz qui nappe nos yeux… jusqu’à les piqueter de  paillettes lumineuses, forte de ses trente mètres hésitant entre l’iris et le jaspe. Quelques âmes courageuses trempent leurs pieds et leurs corps tandis que le bassin balbutie d’un air maussade. Pour les autres, ce n’est que partie remise : il y a bien suffisamment de liquide dans la maison où tous nous vivons.

Cette maison, propriété prêtée, accueille une microsociété. Loin de nous engloutir, elle est une matrice propice aux retrouvailles et aux instants volés à l’autre quotidien. Oh, nous ne sommes bien sûr pas au complet et ne le serons sans doute plus jamais… mais nous reconquerrons l’ici et le maintenant, car nos vies se rencontrent une fois encore. Elles passent par les repas, les jeux, les anniversaires, les contes ; elles passent par des conversations teintées de badineries et de balivernes, et où la vérité transperce quelquefois. L’heure n’est plus au temps mais au tempo.

L’avantage de ce lieu tient en sa multitude de parcours alentours, permettant autant de siestes que de balades crapuleuses. L’une comme l’autre ne durent généralement pas longtemps, et n’affichent aucun regret. Lorsque l’on chemine en dehors et en dedans de la propriété, on tombe sur des dessins, des cartes, des balles de toute sorte ; les loisirs s’étirent comme autant de portes qui s’entrebâillent, délicieusement caressés par la torpeur et l’inertie.

Nous trouvons pourtant la force de nous étendre mercredi sur les berges du lac Génin, vaste flaque parmi l’herbe verdoyante.  Vue du ciel, sa forme rappellerait presque un trèfle… Au sol, l’eau rend la surface plus que meuble, ce pourquoi, parmi nous, bien des corsaires tombèrent au premier pied à terre. Bientôt, tout l’équipage se replie et s’en remet au soleil… Ce soleil qui éclipse la plage, ma page, les feuilles, jusqu’à caresser l’ombre des clairières. Quelques minutes plus tard, les rôles se distribuent : certains bronzent, d’autres s’essaient au mölkky, d’autres encore choisissent le volley. Autour, un val nappé de vert embrasse de douces tempêtes que le vent lui chuchote. Ceux qui cherchent le repos tapissent les pentes de serviettes pour mieux se blottir entre la terre et le ciel. Nos couleurs et nos vies m’apparaissent soudain comme d’absurdes drapeaux. Et les corps, lentement, tombent sous le sens ; quelques âmes s’adonnent à la chanson, soupirent des paroles. La mélancolie, indissociable du bonheur, s’agite et flotte sur les rives.

Jeudi déjà, et un premier bataillon de trois gens est sur le point de nous quitter ; histoire d’aller au fond des choses, nous nous pressons d’explorer avant les grottes du Cerdon. Après un petit train et quelques premières railleries, nous pénétrons la doline et une nouvelle facette du lent travail de l’eau nous apparaît : celui d’un cheminement étrange et tumultueux, à travers les périodes glaciaires. Si certaines des formes ainsi façonnées prêtent à rire, la résurgence finale en milieu de falaise et la majesté de son porche malmènent les quolibets. Peut-être inspirés par tout ceci et vivifiés par le froid environnant, c’est tout naturellement qu’un barbecue conclura cette journée.

L’air libre est remis à l’honneur le vendredi suivant, car une randonnée est prévue… En chemin, nous savourons les Roches d’Orvaz, sublimes falaises qui donnent des idées aux grimpeurs parmi nous. La richesse de leur relief laissent en effet entrevoir d’inspirantes alcôves, qui attendront un jour prochain ; en effet, nous nous consacrons aujourd’hui à l’ascension du crêt de Chalam ! Passé le pique-nique, notre digestion chemine à la queue leu leu, accusant une pente de plus en plus raide parmi les arbres longilignes. Quand enfin nous atteignons la hauteur finale, tous les belvédères nous aperçoivent. La vue s’offre, imprenable : nous sommes au sommet de l’Encoche. Peut-être est-ce la fatigue, peut-être l’inspiration, toujours est-il que nous nous attardons. Décidément, l’Ain est loin d’être laid. Et en parlant de lait, c’est à La Pesse que nous passons ensuite acheter quelques fromages, confitures et saucissons artisanaux ; pour certains, la saveur de ces lieux perdurera encore un peu.

Car samedi règne désormais sur ces vingt-quatre heures, et il faut se décider de la couleur de notre dernier jour ici. L’effort physique l’emporte absurdément, et c’est par l’accrobranche et la luge d’été que les corps s’exercent et glissent dans l’écharpe vert et brun du col de la Faucille. Quelques fous iront même jusqu’à tenter le Mont-Rond… Sa forêt, ses parcours de crête et ses vallons finiront par les récompenser d’un nouveau panorama : le massif du Mont-Blanc et le lac Léman. Tout ce beau monde se retrouvera un peu plus tard pour un dernier verre, avant de s’en retourner vers une dernière soirée.

Un jour de départ est souvent anecdotique, et celui-ci ne déroge pas à la règle. Peut-être dans nos têtes commencions-nous déjà à revenir ?… Pour autant, nous partons avec le souvenir récent de gens à qui l’on tient. Nous savons ce qu’ils deviennent, quelquefois ce qu’ils ressentent. Dans ce dernier jour jurassien, les liens se font racines, et nous soutiendrons les saisons à venir, comme nous l’avons si souvent fait.

Car l’envie d’aller ensemble, elle,
Subsiste,
comme un merveilleux voyage.

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Airelle

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