L’art et la manière

« L’écriture est la peinture de la voix. »

  • Voltaire

Mon père a toujours été une grande source d’inspiration. Il a toujours affiché une douceur distante, et chacun de ses gestes tout en retenue semble avoir bouleversé ma vie.

Je me souviens du premier poème que j’ai lu. 7-8 ans, aviateur éperdu dans les couloirs du monde, j’arrête un temps ma malice. Le Padre, une feuille sur la table, se concentre. Ce ne sont pas ses impôts, non, c’est autre chose… Il semble de bonne humeur, presque heureux. Il ne s’agit pas ici du sourire triste qu’il semble avoir traîné si longtemps dans sa vie, mais plutôt d’une vieille paix qui plane entre les peines.

Tout réjoui, je me glisse à ses côtés, et me fait tout petit. L’écriture crayonnée est calme, courbes et boucles virevoltent comme un joli vent. Les mots sont savamment choisis, presque exotiques. Face à mes yeux, il réalise.

Quelques semaines plus tard, en classe. Je griffonne un mot et le transmets, avec appréhension. Ma bravoure timide fait alors face à mon amoureuse du primaire. Elle l’ouvre délicatement : “Tu veux que je t’écrive des poèmes chaque lundi ? Si oui, lève ton stylo vert, si non, lève ton stylo rouge”. J’avoue que j’aurais été bien embêté si elle m’avait présenté un stylo 4 couleurs. Elle relève ses jolis yeux, et sans quitter un seul instant son sourire mutin, acquiesce. S’est ensuivie toute une série de poèmes, ponctuels et amoureux, pendant très longtemps. Mon entrée dans l’écriture, loin de tout désespoir et de maugréante colère, se fit par l’affection.

À l’âge de 11-12 ans, influencé par les médias. J’ai commencé à considérer la rédaction sous un angle plus personnel. La marche à suivre semblait d’avoir un journal intime. Soit, je saisis un cahier oublié et sans histoires, m’applique à inscrire le titre et l’avertissement mécontent à quiconque le subtiliserait. La page, petit champ où la blancheur paît tranquillement. Les mots semblent dormir sous chaque ligne, attendant une simple pression sur le papier pour éclore…

L’abandon fut rapide, il n’y avait pas encore beaucoup à dire sur ma vie. Tout au plus des colères récentes sur des injustices fraternelles… “Quand on a rien à dire, on se tait” semblait me souffler mon père. L’exercice m’apparût les années passant comme profondément vain ; je ne voyais pas l’intérêt de relater la météo connue d’une humeur banale. Si écriture il y avait, elle devait forcément s’accompagner d’une transmission.

Avançons encore un peu de quelques années. Me voilà soudain moins jeune, plus ambitieux, moins innocent. Le divorce est passé par là, balayant tant de rêves et ouvrant le chemin à une ambition noire. Soudain, il y avait de quoi rapporter, il y avait de quoi vivre.

Je ne me suis jamais porté beaucoup de qualités. Seules deux furent récurrentes tout au long de ma vie : l’art des mots et l’humour (qui se rejoignent). Il est amusant de constater que mon premier blog conjugua admirablement ces deux thématiques, jusqu’à ce que je m’abandonne finalement à une fureur triste sur un second site.

Ce n’était jamais qu’un désespoir à l’abandon, tournant à vide, sans aucune prétention que de magnifier les ruines d’un monde familial. Mais il était difficile de s’arrêter : dans le même temps, je me rendais bien compte que je faisais mes armes. Grisé par mes lecteurs, je trouvais enfin quelque chose où j’étais bon et accédais à une modeste reconnaissance. J’ai bâti des mondes de souffrance, de rancœur, tout simplement parce que pour la première fois, je pouvais créer.

Mais ces phénomènes violents ne peuvent qu’avoir une issue brutale. Lorsque ma mère découvrit l’ouvrage, il ne me restait plus qu’à exploser en vol. L’occasion pour moi de confronter les écrits à la réalité, et d’entrechoquer les mondes.

Je continuais à écrire malgré tout, durant mon année de seconde. Des textes plus variés, où une jeune amertume commençait doucement à poindre. Une jeune fille en tomba amoureux, et nous finîmes un instant ensemble. Le temps de me rendre compte avec douleur que ce que l’on écrit n’est jamais vraiment ce que l’on est.

L’importance du pseudonyme. C’est un nom d’emprunt, où notre vie ne suffit plus. On n’a jamais que ses propres limites.

L’inspiration s’évanouit en même temps que commença ma première -et à ce jour, la seule- relation sérieuse. Je la tins directement pour responsable, lui avouant à demi-mot, soudain dépouillé de ce que je considérais alors comme ma seule valeur. Nous tentâmes alors une écriture côte à côte (les articles de mes archives), sans succès : il me fallait des lecteurs.

Certains lecteurs ici me suivent depuis mes débuts. La plupart me supportent, dans tous les sens du terme. C’est une relation étrange, souvent silencieuse. Au fond, je crois que je suis juste heureux qu’ils passent un moment ici, avant de repartir.

Je suis quelqu’un de posé, serein. Il n’y a que peu de doutes, seulement des options et des conséquences. Si j’écris, ce n’est pas pour réfléchir, mais pour rendre hommage à la poésie alentours. Rien de plus, rien de moins. Je ne le fais pas par besoin, mais par goût.

Souvent, les regrets me prennent lorsque l’on me complimente/me tacle sur ces écrits. J’aimerais tellement que la personne qui me dise ça me confie quelques-uns des siens… Mais souvent, ils ne peuvent pas ou ne veulent pas. J’ai toujours eu la croyance naïve que puisque les mots appartiennent à chacun, chacun pourrait s’exprimer et s’épanouir à travers eux. Constat injuste, puisque l’universalité s’exprime tout autant dans les autres arts. Dans sa solitude, le monde est bien timide.

Face à certaines confessions, je reste songeur. Bien des révélations sont crues ; les mots semblent décharnés, comme égarés. Toute leur saveur, leur nature, est passée sous silence. Mais, dans cet outrage, survient la voix. Et à travers cette expression, c’est tout un texte qui s’envole ; éphémère, virevoltant pour un temps dans la mémoire. Des drames portés au loin, dans un dernier abandon, un dernier son.

Quelquefois je me dis que je m’acharne à bâtir une fontaine sans eau. J’aurais beau cultiver les mots, les retourner dans des doubles sens, ils n’auront pas cette sonorité. Ce ne seront jamais que des contes de faits.

(sourire)

Qu’est la magnificence, si l’on fait l’économie de la résonance ? Je suppose qu’il y a un temps pour écrire, et un temps pour dire les choses. Comme un libellé libellule, accompagner sa vie d’une petite bulle.

Teckhell

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