« On ne trouvera jamais meilleur messager que soi-même. »
- proverbe français
C’est souvent le soir. Ma sœur finit toujours par s’endormir, me laissant seul à mon ouvrage. Je m’arrête de temps à autre, pour la regarder dormir…
Des brouillons sont éparpillés sur mon ordinateur, un stylo de rechange traîne… La mécanique est bien huilée. Et pour cause : je n’écris presque plus par écrit. Mis à part l’administration et les partiels, j’ai fini par délaisser ce support.
Mais ça… Toutes ces lettres, c’est important.
Chaque année, le plus souvent l’été, j’envoie aux quatre vents des lettres, des cartes postales à ceux à qui j’ai envie de parler. Oh, je ne leur relate pas vraiment le temps qu’il fait, ni un étalage des activités disponibles. Non… Il s’agit de dire ce qu’on a à dire.
Au mieux les gens vous diront que je suis réservé, au pire que je suis un hypocrite : les avis diffèrent. Toujours est-il que je parle peu, et que je me confie encore moins. Sous mon apparente chaleur, je demeure un type extrêmement froid et désabusé. Ce n’est pas un effet de manche, ni un genre que l’on se donne, mais juste un constat quelquefois embarrassant dans les relations sociales.
C’est d’autant plus fâcheux quand on croise des belles personnes. Ces personnes qui vous font douter, qui vous ouvrent de nouvelles perspectives ; il n’y a rien de plus excitant que de sentir une vie nouvelle vous frôler, et vous proposer de faire un bout de chemin ensemble.
Je suis le premier à dire que rien n’a de sens, que rien ne dure… À vrai dire, la première fois que ce constat m’a traversé, j’avais 7 ans et j’étais à Disneyland. J’ai terminé mon raisonnement en avouant à mes parents que je voulais me suicider. Oh, je vous rassure, j’ai écarté cette idée depuis quelques années maintenant : si l’intérêt de vivre est relatif, l’intérêt de mourir est encore plus sujet à controverse.
Rien ne dure. D’ici quelques années, il est probable que j’aurais perdu de vue certains de mes compagnons. Peu importent les raisons. Ce qui compte, c’est de dire ce qu’on a à dire avant. J’ai longtemps vécu avec l’espoir des fins grandioses. Sans succès.
Lorsque je commence à rédiger mes cartes, je repense toujours à la première que j’ai écrite et dont je me souviens. J’étais tout jeune (6-7 ans), et un gamin venait de m’envoyer une lettre. Ma mère m’avait alors encouragé à lui répondre, fut-ce par politesse. Et face à cette page blanche, je me rappelle avoir pleuré, d’une part parce que je ne voulais pas lui répondre (dans mes souvenirs, c’était un connard, j’espère que les gens changent) et d’autre part, parce que je ne savais pas quoi lui répondre.
J’estime l’écrit, probablement bien plus que l’oral. L’expression “paroles en l’air” sied merveilleusement à mon opinion sur la question. Après, cela s’explique : j’ai un rapport compliqué avec les gens, ma mémoire et ma concentration partent chaque jour un peu plus à vau-l’eau… Difficile de s’en remettre à une réalité qui ne cesse de s’éroder. L’écrit structure, fige, peut se relire. C’est un repère, une marque.
La lecture est un moment intime : on est seul(e) face aux mots, au message. Il n’est pas question d’évoquer de grands principes d’amitié, non. J’écris pour établir un rapport en soi. À cette date, pour cette personne, j’aurais eu ces sentiments, cette considération. Les années peuvent passer, nous pouvons ne plus nous parler, mais cette affection, elle, sera éternelle.
Chaque carte est différente. Je m’applique autant que je le peux lorsque j’écris de mes doigts noueux. Elles n’appellent pas à une réponse, à une discussion future à propos de cet écrit ; c’est un présent.
Certains remercient, d’autres se taisent. Quelquefois je reçois des cartes en retour. Je les accroche avec soin, les relis de temps à autre.
Même si au quotidien, on essaie de faire sa route, on vit par et pour les autres. Certains plus que d’autres ; qu’importe, il n’y a pas de bon choix. Ce qui compte, c’est de regarder dans le rétroviseur, et se dire qu’on peut continuer de rouler.
Quelquefois, lorsque ma mémoire me joue des tours, je me surprends à relire mes brouillons. Je me sens si misérable. Mais les afflictions ne sont jamais que de passage tandis que les mots, eux, gardent fièrement le passé.
Teckhell