« Comme tout ce qui compte dans la vie, un beau voyage est une oeuvre d’art. »
- André Suarès
Petits récits d’une semaine sur deux roues, deux jambes, deux mains, entre Toulouse et Marseille, hier et matin.
17/08 : la peinture et l’aquarelle
La course du soleil luit sur les rails d’un éclat blanc métal. A l’intérieur d’une carlingue intercitéenne, notre communauté se regroupe, se reforme.
Embouti ou à bout, les directions s’oublient pour laisser place à l’itinéraire. Notre vie, à nouveau…
Derrière le sublime de la situation, l’on décèle constellations. Les motifs et les raisons forment en effet tant et tant et tant de teintes qu’elles en colorent les regards. L’on devine, l’on subodore, l’on sait pourquoi, pour qui ces cœurs brillent et vrillent. Qu’ils cherchent un oubli, un repli ou même une victoire, la terre s’offrira ; elle sera çà, là, et même plus que ça… mais, d’ici là, que la sieste nous transporte !
(…)
Nous nous frayons un passage, nous extirpons avec labeur, déterminé : nothing Toulouse. Enfin vélocipédistes, nos premières heures, passée la toux urbaine, laissent présager d’un courant indistinct. Bruits et silences retombent doucement en perles, en feuilles, et tapissent le roman-fleuve…
… la suite à la prochaine écluse !
18/08 : la messe folle des fesses molles
Arrivés entiers et en terrain campé, les maux viennent cependant avec plus d’aisance que leurs homonymes.
Et pour cause : blessures, contusions, saignements, tendons et ligaments… une question se pose alors : serions-nous des bleus ? l’énergie s’évide si promptement, de point de passage en point de passage… Ah ! Pédalage, comme tu nous as menti, comme tu nous as trahi ! Ce n’est pas très sport. Pourtant, les tentes se montent déjà plus vite, les gestes gagnent en technique…
Las ! rien n’y fait : nos fins de journée témoignent d’un splendide épuisement : il étonne, implacable, tout autant qu’il balaie, inéluctable. Mais cet acharnement au cas par cas n’émousse pas l’équipe, équipée d’une somme de gnaque ! elle s’y soustrait par les rires, l’inconséquence, se tourne vers les étoiles quand la lumière s’assombrit ! Oui, étrange cortège, drôle de culte dont nous payons le prix… notre jeunesse âgée et si peu assagie s’agite et peine à troquer de l’énergie !
Mais du coup… route ou déroute ? Qui sait !
Toujours est-il que nous nous y précipitons…
Prière de ne pas nous arrêter : aumône baby !
19/08 : la distance et le proche
Nos tentes écloses une fois encore et nous voilà tout chose.
La fatigue frotte les yeux et, hélas, estompe par trop souvent les visions et mignons aspects que ce voyage revêt.
Palmipèdes, rongeurs et homologues bicycles composent le longiligne zoo qu’ébouriffent platanes, saules pleureurs et pétales de roseaux. Et toujours le spectre du fleuve, vert et eau, où se noie le soleil…Tapissant le lit d’enluminures, il laisse au trajet mille lectures.
La Carcassonne se profile et ne fait qu’une bouchée de nos guidons malhabiles. Elle monte et descend, enroulant ses fortifications comme un serpent de pierre et finit de nous achever dans ses dénivelés, ses dédales.
Après avoir pédalé, histoire de mieux pédaler, le troisième abri s’établit. Un barbecue, une étincelle d’amitié, et le feu prend naturellement. Chacun y va de sa confession infime au fin fond de la sombre clairière. Il y a pourtant quelque chose d’émouvant à tous s’entrevoir, dans nos fatigues et nos vérités.
Rien ne bouge, rien ne change ;
Une alliance luit,
Et elle n’a rien à envier aux étoiles.
20/08 : la sueur et les fronts
Notre parcours a franchi suffisamment de kilomètres pour revenir à des climats plus familiers. La pinède nous enjambe dès lors et saupoudre chaudement la route polymorphe.
La destination n’est plus si loin mais il nous faut nous hâter. Quelle distance, quelle étape ? à l’urgence se mêle la langueur et ni l’ombre ni le vent n’essouffleront cette chaleur.
Alors, poussés à bout, nous nous scindons, nous éparpillons, cela rappelle étrangement les fêlures d’un cristal.
Pour chacun, le tour de force est différent et les parades se multiplient. Ecouteurs vissés aux oreilles, force mentales, discussions pour tenir le coup… les morceaux de bravoure se disputent aux désespoirs le long de cette interminable route qui finit par se terminer. Le groupe s’étonne, puis doucement se réunit pour festoyer comme il se doit : avec de la bière et des pizzas.
Dans leurs yeux, de petits exploits crépitent au feu de bois.
21/08 : la bataille et le butin
Notre convoi, une fois n’est pas coutume, débute sa journée par une grasse matinée. Le campement ressemble à s’y méprendre à un lendemain de festival mais qu’importe : une pause s’impose !
Le trajet, initialement simple – voire court, tourne rapidement au labeur halluciné.
D’itinéraire bis en déviation, une panique s’installe dans le calme, tant la troupe peine. Il reste bien quelques braves, aussitôt conspués. Même le photographe, d’ordinaire objet de toutes les adorations, se voit toiser d’un air méchant par la traîne cycliste. Emotions et sentiments cavalcadent donc, sans vraiment se repérer, jusqu’à à nouveau s’apaiser dans le camping suivant.
Une fois conquise notre touffe d’herbe, le repos passe par une sieste ou une piscine. Quand cette activité devient par trop exigeante, l’heure est aux tarots ou bien au tennis de table. Cependant, le gros morceau de la journée reste bel et bien le restaurant gastronomique !
Un tel raffinement embarrasserait le commun des mortels, surtout si ces derniers avaient pédalé dans la choucroute cinq jours durant… que nenni ! Aux saveurs s’enrobent le goût salé des conversations avant que lentement nous ne sombrions sur le chemin du retour, dans le dernier sommeil étoilé.
22/08 : l’arrivée et les fins
L’élan final, un brin essoufflé, brave une dernière fois les cahots ! Le mutisme semble s’emparer du groupe tandis qu’un comparse se croute piteusement. Sans de plus amples encombres, Béziers se montre et s’arpente. Nous n’avons beau y être que de passage, l’on y perçoit une indicible tristesse, que reprennent en écho les nuages tout là-haut.
Dernier repas, dernière sieste… ce n’est pourtant pas en condamnés que nous regagnons la gare biterroise. Les gens sourient, soupirent, tâchent de se souvenir : pour plus tard, « histoire de ». Cela leur appartient, les accompagnera, au loin ou pour quelques pas.
En suspension, c’est donc la douceur et la retenue qui guettent le TER en approche puis en partance ; déjà les wagons nous séparent… s’ensuit le trajet, celui pour lequel nous ne sommes plus vraiment aux commandes, celui nous ramenant anonymes à nos vies éponymes.
Le là-bas devient vite ici, et vient le temps de se Phocée compagnie. Cela a lieu dans une tendre précipitation ; l’embarras et l’embrassade parcourent l’assistance, avant de les relâcher.
On peut se demander ce que représentaient ces jours… leur propriété et leur valeur, nomades, trouvent réponde dans le cœur et l’été de chacun d’entre nous.
Teckhell