Design d’Interactions #12 – L’horreur du vide

Régulièrement, je mets en avant certains principes et thématiques en rapport avec le design d’interactions. Il se peut que cette fiche soit amenée à évoluer, au fur et à mesure de mon apprentissage et de l’évolution de ma sensibilité. 

Qu’est-ce que l’horreur du vide en Design d’Interactions (IxD) ?

Il s’agit de la tendance à préférer les espaces remplis d’éléments ou d’objets aux espaces vides. Ce principe est surtout associé au critique Mario Praz, qui a utilisé ce terme pour qualifier la décoration d’intérieur surchargée de l’époque victorienne.

Définition et modalités

L’aphorisme d’Aristote « la nature a horreur du vide » exprime la tendance naturelle à ne pas laisser d’espaces vides mais à les remplir d’objets ou d’informations. Sur le plan stylistique, c’est le contraire du minimalisme. Ce style est notamment illustré par les tableaux de Jean Dubuffet et Adolf Wölfli, les œuvres graphiques de David Carson et Vaughan Oliver et les bandes-dessinées de S. Clay Wilson et Robert Crumn, mais l’on en rencontre aussi de nombreux exemples dans les journaux et les sites web.

Horreur du vide et perception de valeur

Des recherches récentes suggèrent un rapport inversement proportionnel entre l’horreur du vide et la perception de valeur. Autrement dit, plus l’espace est rempli d’éléments moins ces éléments ont de valeur. Une étude portant sur plus de cent magasins de vêtements a montré que plus les vitrines sont chargées de mannequins, d’étiquettes de prix et et aux signalisations, moins le prix moyen des vêtements et le prestige de la marque sont élevés.

  • Les magasins de vente en gros ou faisant partie d’une chaîne ont tendance à remplir au maximum leurs vitrines, exploitant au maximum l’espace pour exposer plusieurs mannequins, piles de vêtements et offres promotionnelles.
  • À l’opposé, les boutiques de luxe, plus confidentielles, se contentent souvent d’un unique mannequin et n’exposent pas de vêtement suspendus ou empilés, ni de promotions, ni d’étiquettes de prix, supposant que les gens qui ont besoin de connaître le prix n’ont pas les moyens de s’offrir la marchandise.

Ces observations sont absolument cohérentes avec notre expérience de tous les jours, mais elles sont quelque peu surprenantes dans la mesure où, historiquement, une décoration foisonnante et considérée comme un signe d’opulence et de luxe…

Ces trois vitrines exposent plus ou moins de marchandises dont la valeur perçue est en général inversement proportionnelle à la complexité visuelle.

Peut-être que ce rapport inversé existe en réalité entre l’opulence d’une société et la valeur perçue associée à l’horreur du vide ? En d’autres termes, pour les personnes habituées à avoir beaucoup, la rareté est un plus, alors que pour les personnes habituées à avoir peu, l’abondance est un plus. D’autres études ont avancé que ce rapport dépend davantage de l’éducation que de l’opulence. Ce domaine de recherche est tout récent et nécessite d’être approfondi, mais les premiers résultats sont intéressants (cf. bibliographie).

Quelles applications en design d’interactions ?

Le designer d’interactions tiendra compte du principe de l’horreur du vide lorsqu’il concevra des locaux commerciaux ou des publicités. Afin de susciter une impression de valeur, il préférera le minimalisme s’il s’adresse à un public opulent et cultivé, l’abondance  s’il vise un public plus modeste. Pour les supports d’informations tels que les journaux et les sites web, il faudra appliquer des principes d’organisation tels que l’alignement et le découpage par blocs pour exploiter les avantages de pages denses tout en atténuant leurs inconvénients.

Si vous avez des ouvrages, des articles et des outils en rapport avec cette thématique, n’hésitez pas à les partager dans les commentaires !

Rémi L.

Bibliographie :
Gombrich, E. H. (1970). The Sense of Order: A Study in the Psychology of Decorative Art. Phaidon.
Lidwell, W., Holden, K., Butler, J., & Butler, J. (2011). Principes universels du design. Eyrolles.
Mortelmans, D. (2005). Visualizing emptiness. Visual anthropology, 18(1), 19-45.

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