Derechef

« Et le combat cessa, faute de combattants. »

  • Corneille

Plus jeune, je me posais souvent la question du crayon blanc. Droit et intact, il trônait au milieu des mines cassées et des pelures chromatiques, la crasse des autres finissant inlassablement par voiler l’ecclésiaste. C’était une des mélancolies dont l’enfance a le secret, où le juste et la tristesse se câlinent sans trop savoir d’où viennent les chagrins.

Toujours est-il que ce terme, cette expression du crayon blanc, est restée. Chaque personne construit dans l’ordinaire sa propre mythologie, ses symboles où s’encastrent -avec plus ou moins de coups- valeurs et principes. De là vous vous doutez bien de la place et du sens qu’a pris ce petit bâton de bois : une angoisse, une vague alarme. Sonnerie et cliquetis, des aiguilles et une vie.

Café noir et aspirine.
La lune fond ;
Encre de chine.

(sourire)

“Une vie” ; cela sonne presque impérieux. Un cap, une direction, un trajet, une destination. Comme si l’on convoyait un bien précieux vers un point, le point où tout serait mieux, voire bien.

Idée séduisante.

J’ai essayé, vraiment. Trouver une voie qui me parlerait, ça ne semblait pas si difficile ; il suffisait d’un peu de fantasme et d’inconscience. Les postures et le bluff feraient le reste.

J’ai passé la majeure partie de mes études à arpenter, non sans délice, les lignes de fuite d’un tableau laissé anonyme. Mais aujourd’hui, alors que le voyage semble bientôt se terminer, je m’aperçois soudain que j’écris un destin le crayon blanc à la main.

Ce n’est pas moi.

La voyez-vous, la bascule ? le choix, le renoncement, le gâchis et tout ce qui s’ensuit ?… c’en est écrasant. 

La rumeur s’ébruite et bruissent les vieilles abysses. Il paraît que la détresse se coiffe des palinodies, ne peux-tu donc pas continuer ? Mime la fatuité, admets vacuité ; comme tous tu pesteras à la nuitée.

Ce camouflet aurait probablement pu passer inaperçu. Il l’a été ; s’il n’émerge que maintenant, ce n’est que parce que les idées étaient noires et le crayon blanc.

Cette situation me renvoie en écho un épisode d’il y a six ans maintenant. Un ancien temps, où le temps était presque absent. Il a fallu que je me détourne d’une voie qui n’était pas la mienne, que nous nous enfuyions, elle et moi, ensemble. Sans l’un, sans l’autre, je crois que nous n’y serions jamais parvenus. Aujourd’hui, tandis que je reprends les armes, seul, j’espère qu’elle a enfin trouvé la paix.

Le présent représente – oui, oui, disons cela. Il s’affaire, fait disparaître les caractères.
Bel et doucereux étang.

Mon passé psychologue a repris rendez-vous ces dernières semaines. Les syndromes se succèdent, les diagnostics sans appel. Je m’épelle, me dissèque, la distance savante et le contrôle féroce. Moi qui pensais avoir enterré ces automatismes et ces jugements, je me retrouve à faire le lit de l’ordalie.

Qui pour finir les restes ?

Ce serait bien de terminer ça correctement. Avec les honneurs, un beau diplôme. La famille serait fière, les amis réjouis, moi quelque part. Tomber dans le panorama, une dernière fois… avant de repartir, heureux, derechef.

Ce n’est pas une honte mais… pas loin. Je me suis mis de côté, un peu, longtemps.

Je ne veux plus d’harangue, simplement retrouver un sens. On convoque souvent la figure du carrefour, de la croisée des chemins ; fuir une ligne pour en rejoindre une autre, c’est encore trop tragique.

Laissez-moi, oui laissez-moi… rejoindre le delta. 

Teckhell

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