L’illustratrice Zaromatt et moi-même menons un petit jeu créatif : simultanément nous nous envoyons un texte et une illustration, et nous donnons quelques jours pour apporter notre propre inspiration au contenu initial. Le tout sans se concerter, pour créer plus librement.

L’inspectrice McFish arriva rapidement sur les lieux du braquage. Hivernale, la rue offrait un décor blafard et dépouillé, et on n’y voyait pas à deux mètres ; pourtant, tous reconnurent la fourrure fatiguée de la jeune enquêtrice. Mal rembourré, le vêtement lui donnait une allure musculeuse et compacte qui confinait à l’absurde, à mille lieux de sa chétivité. Elle essuya en toute logique quelques remarques gaillardes lorsqu’elle intégra le commissariat, mais elle s’en cognait, tout comme elle cognait quiconque se mettait entre elle et la vérité. Cette détermination ne reposait évidemment pas sur la seule force brute ; McFish privilégiait toujours l’observation aux fusillades, arguant qu’elle détestait le gruyère. A contrario, elle ne sortait jamais sans une loupe ; elle en faisait collection depuis toute petite, comme autant de miroirs à main dirigés vers la réalité. Pour chaque enquête, une nouvelle loupe ; l’instrument avait beau ne servir que rarement, il faisait toujours son petit effet.
“Lieutenante.
– Agent Ludwig. Le commissariat évoquait un vol avec effraction.
– Oui, oui, une petite épicerie, avec un modus operandi qui va vous plaire : ils n’ont volé que des légumineuses. Lentilles, pois, fèves… ils ont même récupéré les flageolets dans les boîtes de cassoulet ! À force de répéter “cinq fruits et légumes par jour” à la télé, ça nous pendait au nez des conneries pareilles. Et vous vous doutez bien que le temps qu’on arrive, ils avaient mis les gaz…
– En plein hiver, votre langage fleuri fait désordre. Des indices ?
– Les braqueurs ne se sont pas arrêtés là cheffe, y a toute une mise en scène là-dedans. Ils ont gavé de la poiscaille avec des haricots rouges avant de suspendre le tout avec des ficelles. Quand vous rentrez dans la supérette, les poissons rebondissent les uns sur les autres… Ca donne un bruit si flasque, à en faire chialer Captain Igloo.
– Un grand sentimental, lui aussi. Occupez-vous des badauds, je vais inspecter les lieux.”
Depuis le passage de Ludwig, une curieuse réaction chimique avait rendu translucide la peau des pauvres bestioles, accentuant le surréalisme de la scène. Nombre de délinquants et criminels aimaient laisser une trace, mais ils ne se donnaient généralement pas cette peine. Comme pour mieux réfléchir, McFish s’était placée au centre de ce curieux carrousel, fixant tour à tour et non sans strabisme chaque poisson dont la virevolte laissait quelquefois éructer un ou deux haricots. Dehors, la tempête avait cessé pour laisser place à une lumière blanche, qui se reflétait dans la loupe attentive de la policière. Elle n’avait ni mobile, ni chemise, ni suspect, mais elle savait que quelqu’un paierait pour tout ce micmac : foi de McFish !
Airelle x Zaromatt