Archives mensuelles : mai 2020

Airelle x Zaromatt – S01E35

L’illustratrice Zaromatt et moi-même menons un petit jeu créatif : simultanément nous nous envoyons un texte et une illustration, et nous donnons quelques jours pour apporter notre propre inspiration au contenu initial. Le tout sans se concerter, pour créer plus librement.

*

Comme nombre de Terriennes, Maude est en perte de repères. Si le déconfinement lui a au moins permis de se faire licencier de visu, ses activités connaissent encore quelques entraves. Difficile en effet de fréquenter parmi ses ami.e.s quelqu’un.e qui ne soit ni complotiste, ni collapsologue, ni surmené.e, et qui aime la moule. Tout comme il est ardu de trouver une plage encore accessible pour buller parmi les bulots. Maude doit bien l’admettre : sa conchyophilie la consume, et un certain désemparement l’étreint désormais. Quand vient la nuit, il n’est ainsi pas rare qu’elle regroupe autour d’elle tous ces coquillages aux gravures touristiques, patiemment collectés depuis tant d’années.

Ensemble, ils forment un récif qui l’apaise un petit moment, juste assez pour ne plus penser à son crabe. Ne manque que le ressac, que même ses vieilles canalisations ne sauraient reproduire ; un bruit qui, hier encore, procurait à Maude une drôle de confiance en l’avenir.

Airelle x Zaromatt

Airelle x Zaromatt – S01E34

L’illustratrice Zaromatt et moi-même menons un petit jeu créatif : simultanément nous nous envoyons un texte et une illustration, et nous donnons quelques jours pour apporter notre propre inspiration au contenu initial. Le tout sans se concerter, pour créer plus librement.

*

La surface de l’étang ne se déride guère… Cela ne va pas faciliter les choses pour les deux hommes qui assis sur le banc scrutent poliment l’horizon. Une pinède embaume les lieux, relâchant par intermittence – et non sans espièglerie – une pomme de pin pour trouer le silence. Pourtant, il s’agit là des retrouvailles de deux vieilles branches ! Mais leurs regards ne proposent comme autre reflet que celui d’un brouillard sans fin… jusqu’à ce qu’ils se décident à réagir. Après tout, que vaut le calme s’il n’est pas ceint d’excessif ? L’un des hommes sort une maraca, fredonne un rythme qu’ils avaient pris l’habitude de jouer ensemble. Dans le temps. La mélodie semble emporter une araignée, qui s’active sur sa toile. La nature n’est pas en reste, et c’est bientôt tout l’automne que l’on surprend à batifoler comme si juin ne s’était jamais arrêté.

Comme si un enchevêtrement de fumée n’avait fini par harasser les deux hommes. Comme s’ils n’avaient jamais rompu, il y a un an jour pour jour, lorsque le soupçon a fini par l’emporter sur l’amour. Mais certaines choses vivent plus longtemps que d’autres, au mépris des vides qui nous boursouflent. Alors les revoilà, de nouveau prêts à franchir le pas.

Airelle x Zaromatt

Airelle x Zaromatt – S01E33

L’illustratrice Zaromatt et moi-même menons un petit jeu créatif : simultanément nous nous envoyons un texte et une illustration, et nous donnons quelques jours pour apporter notre propre inspiration au contenu initial. Le tout sans se concerter, pour créer plus librement.

*

L’aube pointe le bout de son nez, tandis que nous essayons de faire bonne figure. Nous, c’est Suzanne et Ludivine : première année de médecine, livides, divines. Cette nuit, c’était révision sous pression. Et un peu de champagne aussi, histoire de titiller le destin. Ce serait bien qu’il nous donne un coup de main, ou un coup de tête, bref qu’il se manifeste. Parce que là, les jours se succèdent et nous n’en faisons plus vraiment partie. Comme si ce qu’il allait advenir allait advenir sans Suzanne et moi. Une équation à laquelle on aurait retiré deux palpitations, sans sommation. Peut-être que c’est ça l’amour : déceler en l’Autre sa propre immuabilité ? Ca expliquerait pourquoi, lorsqu’elle me raccompagne, je traîne les pieds.

Ludivine s’est effondré sur son lit, un léger filet de bave au creux de ses lèvres. Suivant l’angle, elle me sourit. Mignonne, crapule : on a bien fait de coucher ensemble. Au-delà de la gymnastique, ça nous a fait du bien je crois : les refuges sont si rares de nos jours. Je crois que j’ai envie de veiller sur elle. Autour du lit et malgré les volets, le soleil étend son regard. Le petit monde de Ludivine exhibe son patatras, où le bureau tient une place de choix. Avec deux grammes dans le sang, j’hésite à me prononcer : indolence ou studiosité ? J’ai l’impression qu’elle est au début de tellement de choses… Elle est sa propre époque, je crois. Son ronflement ralentit, la journée s’endort. L’examen est dans quelques heures. Il va falloir faire un choix. Le temps de griffonner quelques notes, de prendre mon manteau… Au moment de passer la porte, je songe : “des repères, ça se retrouve”.

Airelle x Zaromatt

Airelle x Zaromatt – S01E32

L’illustratrice Zaromatt et moi-même menons un petit jeu créatif : simultanément nous nous envoyons un texte et une illustration, et nous donnons quelques jours pour apporter notre propre inspiration au contenu initial. Le tout sans se concerter, pour créer plus librement.

*

Je pense que je pourrais passer ma vie à décrire celle des autres. Au printemps, c’est plus simple, les gens sortent. Ils ne vont jamais très loin, ça m’arrange d’ailleurs. Ce matin, il n’y a que deux hommes à la terrasse du café, sans compter le serveur. Dom’ me reconnaît et m’adresse un salut discret ; il sait que
je ne trouble jamais son commerce. En effet, ça ne m’intéresse pas tant de connaître les gens que de les deviner ; cela atténue la déception. Voilà pourquoi peu avant midi, chaque jour, je prends place sur le même banc devant cet inénarrable café, avec une bouteille remplie d’eau-de-vie et des antipasti. C’est un petit village, je suis vieux, les gens trouvent ça charmant… Voyez ça comme ma manière de mourir doucement.

Aujourd’hui, ces deux hommes – la cinquantaine et la quarantaine – ne semblent pas correspondre : l’un a tout de l’avocat, tandis que l’autre porte encore son bleu de travail. Un mécano, pour sûr ; des pinces monseigneur dépassent de sa blouse. À leurs attitudes, leurs postures, ils se connaissent. Des frères, des amis peut-être ? En tout cas cela fait bien longtemps depuis leur dernière rencontre : les gestes sont retenus, presque maladroits. Le repas se déroule, la météo est mauvaise : de noirs nuages végètent au-dessus de tout ça. Deux cyclistes en tandem, par précaution, viennent s’abriter. Lors du dessert, le patron amène aux deux attablés un gâteau poignardé de bougies. La surprise est là, l’arthrite aussi : il lui faudra pas loin de cinq allumettes pour allumer la bête. Je ricane. J’accompagne la scène en suçant quelques sucreries ; j’ignore ce qu’il se passe, mais la scène m’émeut. Les hommes soufflent de concert sur l’opéra, s’étreignent ; l’un d’eux pose son regard sur le tandem, avec des envies d’ailleurs, ensemble…

Airelle x Zaromatt