Archives mensuelles : septembre 2019

Multijoueur

Malgré les années, quel plaisir de ressentir des émotions toutes spéciales à la lecture ou l’écoute de certaines phrases. On pense quelquefois avoir tout vu ou entendu – à tort, et le hasard te détrompe alors modestement. Il s’agit ici d’une phrase prise au détour d’un season finale d’une série crasseuse et violente ; le personnage principal souhaite exprimer sa reconnaissance à sa partenaire, et bafouille cette phrase d’une voix caverneuse.

« Tu sais, ce monde n’est pas tout beau mais grâce à certaines personnes, cela fonctionne.
Tu en fais partie. »

Lorsque l’on traverse une période désespérée, je suppose que cela nous rend plus sensible – attentif ? – à certains discours, certains spectacles. En écoutant cette phrase, j’ai tout d’abord pensé à Laura, signe que le lien qui nous unit est encore bien loin des cendres fantasmées par nos entourages respectifs. J’ai ensuite songé à mes amis et à mes proches, tous ces gens qui comptent aujourd’hui. Puis, j’ai simplement perçu de l’espoir dans tout cela.

Pendant des années, j’ai fait en sorte de pouvoir me suffire. Il s’agissait alors de se protéger de cette “nouvelle” vulnérabilité, que l’épilepsie ne fit finalement que révéler. J’ai ironisé à l’envi, arguant que rien n’avait de sens et y trouvant une forme de liberté pathétique : je demeurais prisonnier de mes pudeurs, de mes souffrances, et terriblement seul. Pourtant, j’ai essayé d’accompagner comme je le pouvais nombre de gens autour de moi, tissant un précieux réseau de relations et d’estimes mutuelles. Cependant, la relation n’était que rarement réciproque, puisque personne ne pouvait s’approcher : armé de ma verve, personne ne semblait capable de me déboulonner. Mais le mépris et la moquerie ne possèdent aucune finalité véritable : je suis devenu un homme stérile, déclinant et limité. Certains de mes malheurs furent ainsi, selon une certaine logique, légitimes.

Mais rien ne dure, et cela inclut aussi les pires passes de l’existence. Si je ne crois pas forcément aux cycles, je crois à la fluidité : quiconque questionne et s’intéresse à la sienne connaîtra un développement régulier.

J’ai envie de devenir une meilleure personne : je le mérite, et mes amis, ma famille, mon amour, le méritent.

Airelle

Peur bleue

Dans nos vies, dans nos nids, il arrive de dénombrer des objets ayant une valeur toute particulière. Je pense en avoir identifié une dizaine, mais un seul relève de l’évidence : une chemise bleue. D’aucuns la traiteraient de chiffon difforme, avec ses motifs d’un autre âge et ses boutons qui n’attachent même plus. Je l’ai reçue de mon père il y a une petite dizaine d’années. Elle n’était déjà plus rien, et peut-être est-ce pour cela que je l’ai immédiatement chérie : sa douceur et sa légèreté m’apaisaient, et je trouvais dans ses défauts un charme désuet. Vous appréciez, je n’en doute pas, la symbolique de l’objet.

Depuis, je ne la porte plus. J’aimerais écrire que je la porte moins, mais ce serait mentir. Avec les années, mon attachement et mon estime pour cet objet sont devenus ridiculement absurdes, et j’attends systématiquement les moments propices pour en être digne : porter cette chemise est devenu l’expression d’un triomphe sans sens, d’une autosatisfaction qui ne pourra jamais se concrétiser, tant il y a de conditions et d’exigences. Naturellement, la chemise est restée sur son cintre, alors que je continuais de l’amener dans tous mes périples. Jadis élément réconfortant, elle est devenue l’emblème de ma raideur et de mon mal-être.

Un de ces quatre matins, je trouverai la force de la porter. Et, sans atteindre l’épiphanie, je suis certain que j’atteindrai quelque chose, dont l’écho m’aidera pour la suite.

Airelle

Vraiment

Je me sers souvent du présent de vérité générale lorsque j’écris…
La preuve.

Je suppose que cela donne de l’épaisseur, de la confiance ; après tout, quelle meilleure posture que celle de la conviction ? Hélas, malgré la belle substance des fois, difficile d’y voir autre chose que des idées arrêtées. Celles-ci signent la suspension – quand ce n’est pas la défaite – de la réflexion, laissant place à toute une galerie de représentations. Parmi ces portraits de soi et des autres, parmi ces paysages quelquefois ô combien inachevés, nous vagabondons en nous inspirant de couleurs desséchés ou humides pour percevoir, vivre et choisir.

Mais, en soi, nous ne saurons jamais.

Et c’est ce présent doute qui m’empoisonne.

J’exècre toutes ces devinettes permanentes, tandis que je tâtonne à laisser quelques empreintes. Toutefois, cette obsession de la connaissance se fait au détriment de la sagesse. Des routes jusqu’alors arpentées, le passage à l’acte reste la moins empruntée.

Je ne sais pas, ne saurai jamais ; serai-je un jour ?

Tout est si relatif.

Airelle