Archives mensuelles : mai 2016

Accord perdu

« Chagrin et joie dépendent plus de ce que nous sommes que de ce qui nous arrive. »

  • Multatuli

Pendant un moment, je n’ai pas existé.

Oui, curieux. J’aimerais exposer une âpre lutte qui donnerait quelque allure à la chose, mais il n’y eût qu’un bête effondrement. Cela s’explique, peut-être est-ce une histoire de cycle ? Peu importe : le vent est tombé, et je suis tombé avec lui.

Au cours de cette période, j’étais par trop occupé à écouter le lent et long écho du quotidien, qui se répercutait un peu plus chaque matin. Plus rien d’autre ne battait, aussi cessais-je de me battre. Les mots s’en retournèrent vers de meilleurs maîtres, déversant ses ombres et ses flocons sur mes murs et le plafond. Nous vivions alors l’hiver canadien et les lacs gris perlaient et perlaient encore…  J’étais charpie, et mon corps s’essaimait à travers les vains voyages entrepris pour barrer l’ennui. Las ! Territoire parmi les territoires, je ne cessais pour autant ce drôle d’exil.

Par intermittence, il m’arrivait de composer -non sans douleur – quelques textes universitaires. L’essence des êtres et des choses épandait quelques secondes ses composantes, avant de réchapper  de mon emprise. Moments plaisamment déplaisants, ceux-ci révélaient un abandon de plus en plus abscons. Assez vite, je convins d’une allégorie : le cactus et la pluie.

J’ai longtemps cru que le climat et la lumière participaient à mon état. J’ai patiemment guetté le retour de la belle saison, sans effet : ma floraison funèbre poursuivait son office. Un jour, de désespoir, je me réfugiai dans une serre pour me raccrocher aux lianes des senteurs. Elles tinrent un temps, suffisamment pour que c’en devienne fabuleux, avant d’en revenir aux larmes de prédilection.

Le Canada eut, comme toute chose, une fin, mais celle-ci fut antérieure à l’effroyable mélancolie qui me frappait. L’ironie voulut que je revins parmi les miens sans voix…

A vie sourde, expression muette ? L’amer ne manque pas de sel.

Mais depuis, il y a maintenant.

Ces temps-ci donc, je laisse l’amitié et l’amour ragaillardir mon cœur ; pour autant, les journées alanguies succèdent aux sourdes nuit que mai doucereusement concocte. Me voilà retourné à l’ici, trépignant des pieds les miettes des peines perdues.

Pour pallier cette fâcherie, je réapprivoise les alentours : les fenêtres, toujours ouvertes, servent d’alliance aux instants de passage. Les promenades sont l’occasion de renouer avec les odeurs de dehors. Mes sens errent et retrouvent de leur curiosité, et quelquefois je m’émeus du commun immortel. Enfin. Ce fut long mais j’ai pris le large…

Derrière cette souffrance, je ne discerne plus qu’une rature, une nuance. Je laisse la vie plonger ses profondes racines et bourgeonner par dessus cette existence bougonne, en prenant bien soin de ne pas mêler la réalité à tout ça. Elle cheminera autrement en un sublime parallèle, laissant sous la nuit luire la plaine.

Teckhell