Archives mensuelles : février 2016

Chienne de vie

« L’amour est profondément animal : c’est sa beauté.”

  • Rémy de Gourmont

La vie semble parfois engorgée de sentiments ; son déroulé palpite année après année dans une liberté fabuleuse.

Il y a un peu moins de seize ans, je me trouvais dans un coin de chenil, entouré de teckels plus petits encore, et je touchais une truffe.

Il y a un peu moins d’un instant, j’apprends la fin de ce chien. Canada oblige, et comme le veut la technologie, la nouvelle se fait par les réseaux sociaux.

J’ai lu le peu qu’il y avait à lire, contemplé une vieille photo de ma chienne et moi. Puis, j’ai fui.

Qu’y avait-il d’autre à faire ?

Se prostrer, à en refuser le soleil ? Philosopher, à en surestimer les adages ? Parler et étendre le chagrin ? Tout ceci relève d’une faiblesse et d’une vanité formidables… comme souvent, je m’en suis remis à l’instinct et à la sauvagerie du ressenti. Me voilà donc dehors à promener ma silhouette.

Par habitude, je me dirige vers le lac. Je devais aller courir de toute façon… une vague de froid balaie en ce moment la ville, voilà un temps idéal pour essuyer la nouvelle.

La neige tombe doucement, comme si plus rien n’était.

Roumba… elle n’avait pas un nom à mourir, quelle absurdité. Elle avait un nom à danser, un nom à courir, et voilà qu’elle va pourrir. Chienne de vie.

La course débute et je sais déjà que c’est ainsi que je vais lui dire adieu. J’aurais tellement aimé la veiller tout en posant ma main sur son pelage ; cela aurait été des heures dignes et pleines d’amour.

Mon cœur lourd marque un peu plus chaque foulée. Délaissant le raisonnement et la poésie au profit de la colère et de l’impuissance, je martèle la neige pour mieux me heurter au sol glacé. Les genoux souffrent, les joues tremblent de colère et le corps brûle un long moment. Dans l’épreuve comme souvent, je mise sur l’incandescence, me détruis pour mieux me survivre.

Et pourtant, il fait si froid.

Des empreintes d’écureuils, de chevreuils et de chiens parsèment le lit du chemin.

On a  souvent couru avec Roumba quand elle était chiot et moi gosse. Je me souviens très clairement lorsque ma mère m’a annoncé que nous allions adopter une petite boule de poils ; c’était pour l’anniversaire de mon père, mais le cadeau allait profiter à toute la famille… ce furent de belles années et un bon chien, qui nous suivit ma sœur et moi à travers de nouvelles périodes dont celles de la garde alternée.

Tous les enfants de divorcés ont connu cette drôle d’époque ; ce naufrage, où l’on se rattache à tout ce qui peut bien encore flotter. Mes parents étaient occupés, j’étais le frère aîné ; ignorant tout des choses de l’amitié, Roumba était la compagnonne idéale. Son sale caractère, sa loyauté et ma jeune littérature me donnaient l’impression que tous à notre manière, nous nous en sortirions. Je lui dois mon pseudonyme, je lui dois une partie de moi et maints détails encore.

Je sens les chaudes larmes se figer au fur et à mesure… j’imagine deux yeux enragés, lançant des éclairs bleus. En franchissant la passerelle du Pont-Noir, je prie pour que ce lieu de passage m’aide à dépasser tout ceci.

Ces dernières années, le teckel avait vieilli, perdant la vue et ses forces. Je souriais souvent de sa vieillesse, tout en la portant quand ses pattes lâchaient. Elle résidait loin chez ma mère désormais.

Juste avant le Pavillon des Nations, je croise un bouvier et son ma^yre. Des duos comme ça, le long des berges en dentelles, il y en a des tas. Un amas de poils et de laines qui font leur route, peu importe le tracé et la longueur.

Il est temps de murmurer au revoir.

Teckhell

Être de saison

« Le lac, œil du paysage »

  • Victor Hugo

Bien loin de chez moi, j’ignore ma place dans la galerie des glaces.

On trouve au Canada des milliers de lacs. Là où je suis, il y en a bien quelques-uns… tenez, si l’on remonte King Ouest, il est un lac en bord de terre qui apparaît. Son nom ? Le lac des Nations, en souvenir d’une vieille compétition. A vrai dire, il s’agit d’un lac artificiel, l’élargissement d’une rivière, la rivière Magog. Tous ces détails désenchantent un eu la mare ; mais si l’homme a voulu un lac, l’eau continue de lui glisser entre les doigts.

Un nombre raisonnable de personnes bordent le Lac des Nations. Touristes comme habitants, tous suivent le courant des petites promenades. Il ressort de tout ceci une vision plaisante, rendant la carte postable.

C’est une étendue que j’ai croisée à plusieurs dates et différentes heures. Jamais je n’étais le même, alors qu’elle restait la proie des froids et le jouet des temps. L’onctuosité de son eau semblait rompre éternellement avec l’âpreté hivernale… Las ! Quelques plaques de glace martelant l’onde, j’ai tant regretté que la pénombre ceigne le fond. Quelle couleurs j’aurais pu y découvrir !… Attribuant à l’envi cent songes et puis l’oubli.

Oui, l’hiver semble mettre l’eau dans tous ses états et ses rides d’en trahir la tourmente. De caprice en caprice, les températures provoquent une drôle de lutte à la surface alors que des territoires se figent et d’autres se libère. S’observent alors de vilaines cicatrices qui sinuent le long des tensions. Il arrive qu’une feuille se prenne dans la naissance d’un cristal ; leur ultime mouvement est quelquefois si fin que j’en chuchote le nom de quelques vents…

Mes pensées font boule de neige pendant que mes jambes arpentent la côté blanche et bosselée du lac. La poudreuse se confond avec les dunes de mes souvenirs comme autant de sables émouvants. Je pense à ma famille, à mes proches, à la suite. Je réfléchis et mes yeux se baignent dans le lac.

Teckhell