Archives mensuelles : août 2014

Les presqu’îles

« C’est connu, les écrivains aiment voyager. Bien sûr… pour eux, il est plus facile de lever l’encre. »

  • Georges Raby

Une petite suite de brèves, griffonnées au jour le jour durant un auguste séjour en Corse. 

14/08/2014

Je laisse mon corps rejoindre la rivière, tombeau argent où le soleil réverbère…

Pas loin, autour, la Corse me parcourt. Sans mes oreilles atalantes, les sensations décélèrent, atmosphères. Il ne reste que le roulis de l’eau, roulis bateau, tangue et tangue autour de mes yeux en amande…

Fi de nos guerres épaisses, fi de l’errance des torrents,
Figari,
Eux ailleurs et nous ici.

Les yeux gris des guetteurs surveillent le rêve et l’entêtement qui nous échoient, anchois échoués et, l’espace d’un temps, déchus de nos existants. Les mots s’allongent, à en perdre leur phrasé, le temps de roucouler…

Happées, hissées, les volutes Granda Verde.

Il ne nous aura fallu qu’une nuit et le début d’un jour,
Pour prendre le pli de l’oubli et de ses alentours.

15/08/2014

S’il convient de rendre justice et justesse à l’émeraude et au topaze des sols corses, attardons-nous un instant sur les lacets qui en constituent la matrice. Noirs, gris, roses, ils étreignent tout le sauvage de cette terre, tout enserrée qu’elle est par la pulsion des hommes.

Cette route ainsi appliquée, l’accès aux beautés îliennes n’en perd pas moins de son insolence. Comme si le bitume élançait ses amertumes, ses idées noires, le long des territoires… histoire de nous perdre, tôt ou tard.

La Corse est ainsi empierrée, boisée, qu’il reste bien peu de place pour les hommes et leurs débris. Dès lors, nous l’arpentons, nous la foulons, sans jamais l’atteindre. Voilà mon tourment, le blues de l’arrière-plan.

J’ai dévalé l’eau, j’ai frôlé la roche,
Courant l’endroit, redoublant d’approches.

16/08/2014

Le curieux spectacle de nos êtres, (d)étendus et tus.

La mer s’avance et, encouragée par le vent, peint ce sable. Maillots et serviettes, humaine palette, lardent le beige léger.

Nos jambes se croisent et s’allongent, au gré des langueurs… lorsqu’enfin, en bons écumeurs, nous nous décidons à mener l’assaut ! Une magie bleue et blanche recouvre rapidement nos chahuts, qui se joignent à l’horizon.

Bonifaccio n’est pas une vilaine fille ; à dire vrai, elle regorge de joliesse. Pas étonnant que les armateurs soient amateurs, obsédés qu’ils sont d’exposer leurs plus grosses dépenses : un butin de suffisance. Mais laissons les riches pour mieux nous perdre dans la richesse… c’est là une affaire de goûts et de  couleurs, à laquelle ont su répondre glaciers et confiseurs. Forts de nos digestions, nous finissons par rejoindre le bastion, où un dédale véritable nous sirote. La troupe glisse de rues en chemins en ruelles, sous la haute surveillance des surplombs. Nids d’aigle et murs de seigle.

Au sortir de la ville, le vent fauche les derniers épis de nos cheveux.

Un vieux soleil sur le bas-côté regarde la scène avec courtoisie.

17/08/2014

C’est un chaos d’amis qui, jour après jour, construit sa fourmilière. Que ça grouille, que ça grouille… Joyeuse guerre.

Ah, il faut bien le dire, le papillonnage est un art difficile ! un rien ne paresse, un autre vous transporte, l’aléatoire défile et l’on a tôt fait d’oublier les jours et les villes.

En bons têtes-en-l’air, l’accrobranche semblait tout indiquée. Après avoir casqué, l’équipée équipée du matériel susnommé, voilà que cette dernière est prête à s’envoyer en l’air ! à l’assaut des vertes tiges, armé de métal et d’un pareil courage, pont gré mal gré et peu importe. Lianes, cordes, planches ; fixées, agrippées, vissées ; le tout zèbre les cimes. On crie comme on s’interpelle, tant on s’enhardit de notre haute trahison : la terre s’atterre, et nous nous éloignons.

Plus loin, plus tard, retour à la plage de raison. Le vent cesse et cède à nos moues guillerettes. Jeux de balles, le temps passe à loisir. Tout est si naturel, adieu désir.

18/08/2014

On sous-estime par trop souvent l’importance des repas et des tablées, dans l’interminable (et inachevée) anthologie de l’amitié. Oh oui, bien évidemment, l’image du confident, du proche et de l’intime est sur toutes les lèvres ; mais il est une autre loyauté, et c’est celle du quotidien. Quand je me réveille, m’attable, et qu’un ami me rejoint, mon cœur se serre et la journée commence bien.

Aujourd’hui, la file randonne. Elle grimpe, grimpe et fredonne. Les pas crissent, les branches craquent : craignez notre cacophonie ! elle se déplace, le long des pistes, murmure muet… jusqu’aux panoramas, où nos mots finissent de se perdre.

Une vue. Une vue, à perte de vue… instant pâmé, mon fief relief, regarde-moi ça. Le thym, le romarin, toutes ces odeurs autour, fragrances atours ! emportez-moi, emportez-nous, emmenez tout… voilà que nous disparaissons.

A coups d’haïkus, nous achevons la journée. Pétanque et sauciflard s’ajoutent sur le tard, et le rosé rosit quelques joues fatiguées. Pourtant une guerre nous attend ce soir : sons et lumières au pays des éphémères…

Le doigt sur la détente,
Des souvenirs pleins les tempes.

19/08/2014

L’ermitage nous réussit, je crois. Nos personnalités poursuivent leurs évasions, semant problèmes et préoccupations.

Il est cependant de lourdes âmes, dont le bagage nécessiterait plus qu’un soleil ; leur mélancolie se joint aux nuages, et teinte le ciel.

En chœur et en Corse, régénèrent nos forces. Silences, rires, silences, et tout le reste est importance. Le bruit des pas tape en écho la terre, le chaud ; et puis derrière, taches d’hier, la frappe des souvenirs qui déjà s’opère.

Non loin de la maison Luciani, le sol est brun d’herbes et de poussières.

A un coin de table, l’heure est aux arts de la pensée, dépensée à coups d’idées dédiées et quelquefois personnelles. On se révèle, on se dit, puis on se tait, dans l’espoir d’une prochaine fois.

Bientôt on rangera, bourrera et repliera nos vies ici-bas. Le temps d’une dernière expédition, avant de rendre les âmes.

Qu’est-ce que je rapporte, qu’est-ce que je remporte ?

Un pluriel, vu du ciel…

20/08/2014

Coincés sous l’escalier d’un ferry qui nous ramène vers la métropole, c’est entassé comme le dernier des bagages que le groupe fait maintenant route vers la côte azurée.

Quelques rares vaillants flottent encore des yeux vitreux le long des écrans, mais eux-mêmes ont des doutes quant à leurs dernières forces…

Tout nous ramène à la ville. Même cette pataude embarcation n’est qu’un immeuble flottant. Du grisé au gris, on patauge entre deux vies.

Pourtant, nous avons pris des couleurs. Sur la peau, dans nos yeux, plein le cœur.

Chacun écrit son passé à sa manière, tel qu’il l’aperçut fut un temps et le perçoit maintenant. Il le filme, le photographie, l’écrit ; les feuilles de l’hier sont tantôt mouvements, couleurs, chuchotements. Tout cela rampe autour et en nous, entourloupant le présent et remplissant nos histoires. Car c’est bien de cela dont il s’agit, une histoire, avec tout ce que cela implique : du vrai, du faux, une aventure et des héros.

Ainsi s’achèvent mes notes de sel.
Parti en Corse, groupe archipel,
Revenu presqu’îles,
Dans une foutue ville.

Teckhell

À l’emporte-pièce

« La fin, c’est l’endroit d’où nous partons. »

  • Thomas Stearns Eliot

Une maison, c’est d’un commun… en une journée, combien de seuils franchissons-nous ? bien souvent, des tas, à coup de voyages miniatures. Intérieur, extérieur, nous ne savourons que trop peu ces langoureux glissements que nous opérons le long de nos mondes.

Cinq ans ont passé depuis que ce lieu existe. Qu’elles soient belles ou terribles, les ères s’y sont succédées sans manière, surplombant nos nœuds et l’amour de nos vies, ainsi agencées.

Je n’y suis pas entré le premier, ce n’est même pas moi qui fermerait la porte le dernier, et pourtant je ressens le besoin impérieux de balbutier quelques formules. Ce n’est pas tellement que nous avons accompli quelque chose, mais bien que nous le réalisons désormais. La nostalgie est une couverture un peu chaude qu’il faut savoir enlever à temps… et pourtant, mon cœur est doux ce soir, alors que le feu s’éteint doucement.

Ce lieu, ce feu, c’est une histoire de branches et de buchettes, qui ont veillé année après année à briller, briller, à en pousser les étoiles ! des tisons s’éteignent, certains repartent, et le crépis toujours crépite. La voilà, la belle conséquence, l’incendie de nos amitiés !

Feue la colocation, oui. Nous allumerons d’autres étés.

Que l’image aurait été belle, si nous avions été tous ensemble ici et maintenant. Quel dommage que nous ayons invité le hasard… Peu importe : la colocation a toujours été un lieu de passage, et c’est une fidèle fin que nous offrons à ses derniers lendemains. Le texte, lui, restera : voilà pourquoi je dédie ce texte à qui se reconnaîtra et pour qui cet endroit importa.

Mes plus beaux sentiments s’adressent immédiatement à Alexandre, Edouard, Arnaud et Bruno. Mes comparses, aventuriers avec lesquels nous affrontions une pléthore de quotidiens, poursuivant les itinéraires bis et ter. Je ne vous ai jamais remercié pour ces années et ces couleurs ; à présent, je crois, c’est le moment, c’est l’heure. Merci.

Nous avons obtenu cette bicoque au lendemain du lycée. Sans ergoter, disons que notre argot et notre gargote ont rempli un espace qui dès lors serait nôtre. A nous et pour toujours, plus ou moins trois jours. C’était là une liberté luxueuse, bordélique et lumineuse. Je chérie ces instants et ces premières fois, abritées et choyées par quatre murs et un toit. Heaume sweet heaume.

Le monde est ainsi fait que doucement, nous en sommes arrivés à l’automne. A quelques-uns près, nous étions loin. La baraque tenait fièrement, envers et contre tout, insensible à la tectonique des BACs. Ma vie se réalisait à proximité, je suis resté. J’ai fait ma part, gardien de phare. A cette époque, l’horizon s’étendait, irrésistible.

Jouets des cycles, nous finissions inlassablement par nous retrouver : Noël, pont, jours fériés, chacun revenait saluer et sourire le temps de son escapade. Nous savions où aller : dans cette colocation devenue colloque, l’œil du cyclone jetait un voile intemporel sur nos destins. Encore aujourd’hui, je crois en la nécessité de tels lieux.

Vous pourriez croire qu’un tel soliloque est l’œuvre d’un sentimental, que la prose est faible et la faiblesse facile, et vous auriez raison. Il est temps d’épiloguer. C’ont été de longues années pour des vies aussi petites que les nôtres. Une porte se ferme, une autre s’ouvre. L’année prochaine, un autre abri s’offre à nous : une nouvelle partie commune, où jouera qui voudra. Les pensées et les souvenirs nouveaux sculpteront patiemment les murs, rires et dires tinteront ; que tout le reste s’envole.

Teckhell