Archives mensuelles : mars 2014

Les silences entendus

« Les après-guerre sont faites pour enterrer les morts et trouver quelques belles phrases. »

  • Francis Blanche


Ça y est ?
En avons-nous terminé ?

Pas de réponse.

La chose est incessante ; sentiments et ressentiments se font face, balbutient puis crachent, crachent, crachent. Le quotidien n’en a que faire de ce ressac ; même, il commencerait presque, dans sa sagacité, à s’agacer.

“Allez, il est temps maintenant. Finis ton assiette, sors de table.”

L’abeille que je suis obéis ; le bourdon attendra. Je demande à mes métaphores de filer.

Jours, semaines et nouvelle lune. L’esprit en roue libre, je vaque à mes occupations, un tas de musique et de feu dans le cœur. La routine se fait chape ; bientôt le prévisible supplante le tragique, dans un affreux affadi.

Une vie privée, abandonnée en place publique.

La désespérance est un mot à propos : ses hauteurs et ses sifflements laissent une traînée toxique pour qui le susurre, pour qui la subit. Mais la désespérance n’est qu’une fleur seulement dans le puissant présent. L’élégance consiste alors à regarder le bouquet entier et sourire, pourtant.

Ce qui est savoureux dans tout ceci, c’est le protocole. Affects, résolutions, tout y passe et se succède dans un probable ridicule… mes yeux jaunes n’en finissent plus de s’enténébrer.

Allons bon, me voilà devenu gardien de fards.

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Mes yeux parcourent le document cerné. La main et le calme accompagnent le réveil des mots, précipitant leur mélodie comme autant de fous alliés. A la fin de la lecture, la feuille glisse et soupire par terre, en attendant l’automne.

Il y en a tant… des tas et des tas de tus, à perte de vue. Ils jonchent des dialogues sans répliques, invoquent les piques, toujours crépitent… que les haines sèment, joyaux diadème !

J’aimerais vous dire que je me rappelle les avoir tapés, aplatis à l’écrit. Pourtant mon poing seul s’est exclamé, quand la douleur a commencé à scander. Deux ex machinal : l’amertume a noirci le grain blanc, j’étais déjà loin. Ces exorcismes arrivent quelquefois ; je laisse partir les griffons de papier au loin avant que de ces beautés antérieures enfin je me résous à faire inventaire, entre l’inventé et l’éphémère.

Bien. Marquons une prose.

Il paraît que l’on ne supporte pas de ne pas comprendre. L’absurde a cette gratuité qui épouvante et que chacun combat à sa manière… pour ma part, je nomme. Par le titre, je résume et épingle une personne, une situation, une saison… Dans ce nom, cet adjectif, je puise dans mon histoire et ma poésie pour en sublimer les reliefs et insuffler un sens.

Je n’ai pas mis longtemps à lui trouver un mot plus à propos : un murmure angélique et délicat, nimbé d’évidence… Pour le moment je le laisse bruire, comme un secret, dans les tourments de mon cœur. J’ai besoin de silence.

(soupir)

 Je l’aurais tellement aimée. Un jour peut-être lui raconterais-je pourquoi, peut-être même que ça l’intéressera. Et l’on rira, oui, l’on rira, de l’anecdote litote.

Allons, il est temps de revenir au musée des histoires naturelles.

Une fois toute la paperasse ramassée, classée et compilée, l’incertitude et l’hébétement trainaient encore. Malgré le chaos furieux, je ne pouvais m’empêcher de sentir une profonde affection pour l’ensemble. Que faire, lorsque tout déborde et survient ? j’avais visiblement choisi ici de rédiger et d’ériger mes tout jeunes souvenirs en une sorte de tombeau littéraire.

Chaque feuillet renvoie à une pulsion plus qu’une passion. Ce sont des variations, un éventail plein d’entailles… Et dans cette description pleine de déboires, la non-histoire : celle d’une muse et d’un garçon, tombé en pâmoison. Deux grés, deux forces, qui se sont croisés : comme une rature, comme une nuance.

Ecrire autant pour quelqu’un que je n’ai jamais pu lire, il y a de quoi amuser. Mais le fait est que je n’ai pas de regrets ; j’ai vu des éclats de lumière glisser sur son cou, sur son corps… je l’ai surprise à sourire, au-dedans et au-dehors. J’avais de simples absolus, des désirs sincères ; mettons de côté la navrante farce qui est arrivée. Tout le reste est un allusif bonheur.

Ces écrits, reproches déjà étrangers, resteront sous clef. Laissons s’éteindre les dernières braises graciles, pendants de mon présent. Nous singeons bien assez les songes.

« et, dans un dernier message, elle retrouve toute sa prestance et s’éloigne, à pas feutrés, du brouillon qu’elle a dessiné. »

Teckhell

Impair

« Le vrai bonheur serait de se souvenir du présent. »

  • Jules Renard

Derrière l’ardoise décor
Toi aussi, tu atteindras le monument aurore…

Ouvrez la parenthèse,

Je l’ai laissée prendre des photos, des souvenirs, je l’ai laissée partir. Le reste de la semaine s’est déroulée avec retenue, dans un écroulement élégant.

 Fermez la parenthèse.

Tôt un matin, sept matins plus loin ; lumière par intérim dans la ville, je quitte ma réserve. Les lampes cuivrent toute la cité phocéenne, ambre portée et ambre réelle.

“A quoi tu penses ?
– Non, toi, à quoi tu penses ?”

Mes bris se perdent dans la brise.

(soupir)

Dans la nuit nacre, une partie du bleu de la mer s’attendrit et s’élève, haut dans le ciel. Je retourne sur mes pas, remonte les journées, silencieux et pensif. Les routes désertes chuchotent au détour des carrefours. Le visage noir de barbe, je me surprends quelquefois à afficher un vieux sourire, féroce et entendu. La nuit est relative.

Le bout du chemin ; je dépasse la villa Méditerranée, le MuCEM et contemple ma destination de la matinée : un vaste escalier. Joyeuse semaine, toi. Je retrouve rapidement ma place, et pose ma sacoche sur le côté. Au loin, des badauds pêchent les premiers rayons du soleil.

Et puis… plus rien. Un silence impérieux, bouleversant.

J’essaie de poétiser, de chercher des réponses dans l’azur sucré et piquant, en vain. L’heure est aux constats, aux situations noyées dans l’aube de ma dépouille. Tout ceci donne l’impression d’une tristesse télégramme, émiettée et freinée, d’une mécanique inhumaine.

Suis-je donc si défait ?

Oui et non. Suffisamment pour maudire un paquet de choses, suffisamment peu pour le faire en mangeant une pomme.

Ruinant un peu plus mes efforts de dramaturge, le ciel prend des allures de crème.

Elle portait sa vie comme un bel accessoire et d’une légèreté indolente badinait…

Au moins, revoilà l’inspiration. Je m’enivre et murmure ce que je crée, au fur et à mesure de la démesure, perdant de vue mon cœur fendu.

Quelques feuilles piaffent et pépient, à moitié en-dehors de la sacoche. Il y a un joli vent, c’est vrai. Il presse les nuages, et donne au monde une accélération enfantine. Ça m’a pris le temps, mais je crois que le compte y est. Tous mes textes, compilés, ensemble, existant. La plupart n’avaient jamais été imprimés, et prennent l’air pour la première fois.

D’un œil faussement expert et non sans malice, je considère le classeur : voilà, ça c’est moi, c’est ce que je vis, ce que j’écris. Mon art ou, résumé comme j’espère je le résumerais toujours, ce qui me passe par la tête. Ces mots, couchés sur le clavier, désormais accouchés par l’imprimante, resteront : ils n’ont plus besoin de moi. D’autres manquent m’occupent.

Et tandis que mon immortalité, ce pauvre trophée, bruisse,

Dans une désespérance humaine, je pense à elle et mes yeux brillent.

Tant pis pour la satisfaction et le repos de l’âme. In cauda venenum.

L’écume dessine un grossier carrelage par-dessus les vagues. Entre don et abandon, les promesses et les serments y glissent, avant de se fracasser sur les côtes saillantes du littoral. Les portes du musée finissent enfin par s’ouvrir ; des silhouettes fuient l’extérieur jour et disparaissent dans les locaux. Je reste silencieux, d’une attention absurde.

Fin de la pomme, restent la saveur et les pépins.

Je pars enfin, en traînant les pieds ; dans ma simplicité, entoilé.

Teckhell