Archives mensuelles : septembre 2013

Gymnastique achromatique

« Tout lecteur est soit un voyageur qui fait une pause ou quelqu’un qui rentre chez lui. »

  • Alberto Manguel

Cette année, je travaille de temps à autre dans une école ; je m’élève au rang de maître, de professeur, du haut de mes 22 ans. Il y a comme une incongruité, un absurde qui retiendrait son souffle alors qu’une ère paisiblement s’achève.

Lorsque les enfants délaissent leurs classes et que tinte midi d’une ou deux éclaircies, je sors moi aussi. Zébré de rues, le quartier est un peu excentré ; un grand parc a pourtant réussi à y pousser, en vert et contre tous. Quelquefois l’après-midi et moi nous y promenons : l’on y emprunte les grandes allées tout en effeuillant les chemins. Le vent qui enveloppe, d’un triste chuchotis strie les bassins. Il écorche çà et là les ondes saphirs et, de sa merveille, érode les colosses verts.

Partout, la lumière et sa sarabande.

A quoi ? cinq, dix minutes de l’école, la Grande Bleue, mer méditerranéenne de son état. Entre midi et deux, le bord de mer est d’un calme plage, les hardis badauds restant à bonne distance de l’écume. Suivant les jours, le paysage paraîtrait presque adolescent : mal fichu, peaufiné mais pas fini. Guère armé contre le béton, les galets semblent renfermés sur eux-mêmes… pour observer un sursaut, il n’y a guère plus que les ricochets. C’est ainsi : face à la mer, difficile de se marée. Restent un flux et un reflux discrets, qui soucieux s’insinuent dans les cœurs de pierre.

On devine déjà l’automne, les couleurs froides ont du roussis à se faire. Dans le parc, il ne restera bientôt plus que les épices virevoltantes, taquinant les vieux pins et leurs feux verts… et moi, neutre, avec mes feuilles blanches.

Le midi, j’ai une heure. Plus qu’une pause, une grève azure pour écrire et lire, c’est selon. Des choses à dire ici tout comme d’autres sont à consigner ailleurs, car il est des justesses qui n’ont nul besoin d’éclat. Dans le silence, je me retrouve, presque étourdi de retrouver un vieil ami. Ces précieux instants sont comme des braises sur lesquelles je souffle avec patience. Éperdu que je suis d’avoir retrouvé un foyer, sentiments et sensations se déchaînent. C’est un jeu de couleurs, couleur froide et couleur chaude, un jeu qui ne manque pas de pigment.

Pendant ce temps et même un peu avant, sans un bruit, une tendresse se dessine dans le lointain. Deux couleurs qui ne cessent de s’emmêler les pinceaux esquissent geôles et joliesses. Deux couleurs, à la fois proches et loin.

Teckhell

Le cœur à l’ouvrage

« C’est une suite de preuves dans la vie. On vit en se prouvant les décisions, en se prouvant les actes. »

  • Yves Thériault

Je me relève péniblement, après dieu sait combien de temps. L’heure est tardive, la marge délicate ; les événements eux-mêmes semblent hagards tandis que je m’engouffre dans mon jeune quotidien.

A la récréation, tandis que je surveille avec les enfants, de fines balafres me reviennent. Dans le silence nerveux, elles griffent et grignotent comme le pourri asticote. Je ne sais toujours pas qui je suis, ce que je suis en train de vivre. On m’appelle par un prénom que je ne reconnais pas. Plusieurs fois je manque de basculer mais quelque chose me retient. L’habitude. J’ai déjà vécu ça. Je crois. Il faut juste se donner du temps.

La matinée doucement s’écoule et, un peu plus chaque jour, fait le lit de l’automne.

Mes obligations remplies, je suis rentré chez moi faire le point. Appliqué, je vide mes poches comme une mauvaise cuite, regarde avec suspicion les alentours. Je ne suis pas en colère, ni même triste, non. Quatre années ont passé, cela suffit.

Le regard vagabonde, il escalade les hauteurs et se fraye un chemin parmi les détails. Ca y est, il a trouvé. Rapidement l’on déterre l’ouvrage couleur chair.

« L’élégance du hérisson »

Je n’ai pas froissé le papier. Les lignes sont encore droites, et le fond ne manque pas de caractère. Bien. J’ai même pensé à mettre un marque-page avant de m’en aller, suis-je bien élevé ! (sourire)

Comment en suis-je arrivé là ? l’on pourrait piocher bien des mots pour légender tout ceci : ironie, destin… amour ? voyons… n’espérez pas une réponse, les choses manquent d’absolu. Tout ce que je sais, c’est que je veux devenir quelqu’un de meilleur, quelqu’un de bien. Une bonne personne.

Et pour ce faire, il faut commencer par les peurs, et ce qui fait que les fenêtres pleurent.

En relisant à la page marquée, je m’aperçois que je me suis pâmé durant l’acmé. La faiblesse est féroce, mais le passage toujours aussi bouleversant.

Cela faisait quatre ans que je n’avais plus rien lu. Quatre ans que je fuyais jusqu’à mes propres livres de cours, improvisant au fil de mes études. Quatre ans de peur et de féroce, qui désormais tremblent devant l’accalmie et l’espoir. Vécu de l’intérieur, c’est truculent.

J’ai dévoré l’ouvrage, faisant fi du sevrage : j’aurais aimé que mon mal n’ait pas voix au chapitre, mais il faudra attendre encore quelques temps.  Cette lecture m’a également fait prendre conscience de toute la solitude de mon écriture, de son décharnement. Lire quelqu’un est un sentiment merveilleux : découvrir de nouvelles architectures, de nouveaux mots, accompagner ses instants, toucher le sens… Ah ! comme je me plais à y voir rayonner mille et mille écrins.

Tout ce noir, et tout ce blanc, il y a de quoi griser. Et tant pis si vous n’y voyez qu’une frasque déclarative : pour le moment, je vais laisser la lumière allumée.

Teckhell