Archives mensuelles : avril 2012

Être et avoirs

« La nature se suffit. »

  • Friedrich Hegel

Cela fait maintenant deux ans que j’ai quitté mes foyers familiaux et la sacro-sainte règle d’ “une semaine sur deux”. Mes parents n’ont jamais vraiment versé dans le sentimentalisme, j’avais l’âge de tirer ma révérence… bref : aujourd’hui, j’ai ma propre route.

Nous nous revoyons de temps à autre, selon nos envies et les fêtes familiales. Oncles, tantes, cousins, cousines… Au fur et à mesure que le temps passe, le lien de parenté se détache et ne reste que leur individualité, nue et exposée au jugement d’une jeune conscience.

De manière générale, la famille n’a jamais été une valeur dans notre éducation, à ma sœur et moi. À mon grand dam… Après tout, peut-être était-ce mieux. Ce qui reste de notre cercle familial aujourd’hui rivalisent de drames, d’éloignements… J’aurais aimé y avoir de la fierté, de l’honneur, et je me retrouve à simplement estimer certains individus. C’est dommage, c’est peut-être normal. On verra bien quelle attitude j’aurais, une fois concubin et père.

(sourire)

Arrivée dans le bastion campagnard, pour une fête qui se voudrait joyeuse : Pâques. La grand-mère siège, matriarche. J’ai toujours eu beaucoup de douceur à son égard, et j’aurais vraiment voulu connaître mon grand-père. On passait beaucoup de temps avec elle quand on était petits. La vie semblait calme.

L’été s’est déjà installé dans le jardin moelleux. La chaleur de la terre et la bienveillance de l’arrosoir sont passées par là. Les plantes s’étirent paresseusement, tandis que les fleurs dévoilent leurs plus beaux atours. Quand nous étions petits, notre grand-mère nous répétait avec patience chacun de leurs noms, comme une poésie exotique. Et puis, il y a des tulipes, si rouges. Elles surplombent le parterre, graciles équilibristes ; font resplendir leurs atours, et le vert alentour.

Je retourne vers la jardinière, et lui demande si je peux en ramener. Réjouie, elle accepte immédiatement, trop heureuse de pouvoir partager quelque chose avec l’un de ses petits-fils. Je m’y attellerai plus tard, il y a des œufs à débusquer, avec mon filleul.

Au fur et à mesure de l’exploration du jardin, du pré, des évocations reviennent. Le passé porte bien son nom : des passages fugaces, des sensations, quelques sentiments ; voilà mon histoire, voilà ma mémoire. Je suis, mais qu’ai-je encore ?

Après la chasse et le partage des différents lots, direction le salon sombre éclairé par la lumière d’un gâteau. On regroupe les événements, c’est pratique. Quelques cadeaux, le temps pour moi de filer un peu de whisky et de gâteau à ma grand-tante atteinte d’Alzheimer.

Lorsqu’enfin on se lève de table, je retourne au jardin, Guinness sur mes talons. Je pars chercher un sécateur, puis emporte finalement une bêche. Avide, je désire plus qu’une simple fleur qui se fânerait. Je veux récupérer la plante entière, la nourrir de tout mon espoir, et qu’elle s’épanouisse dans ce vil gris.

Je passe en revue les pétales, et commence à creuser autour de l’heureuse élue. Ma chienne s’assoit, curieuse, et considère la scène avec grande attention. Devant cette émouvante image, je choisis de m’arrêter un temps. Après tout, on peut bien être heureux quelques minutes. Je m’installe à côté d’elle, tandis que mon regard erre doucement. Il ne manque plus que le vent, soulevant quelques vagues herbeuses, et le soleil couchant. Mais le bonheur est ainsi fait qu’il arrive par petites touches, comme un artiste qui ne cesserait jamais de revenir à sa peinture.

Peut-être est-ce ça le plus insupportable, que le monde continue à fleurir. La nature n’a que faire d’une famille en chaos, elle ne se pliera pas aux souffrances et aux drames ; elle est différente, d’une grâce confondante. Dans nos heures sombres, Dieu que l’on aimerait que le monde tombe avec nous, mais il resplendira, encore et encore, et l’on ne pourra que se soumettre à sa beauté.

Est-ce lâche ou bien noble de se détourner de son existence et de s’en remettre à l’immuable ? Nous y sommes nés, et nous y mourrons. S’il faut dédier sa vie, son amour, sa décadence, autant brûler notre splendeur pour mieux s’évanouir.

Soudain la lumière se voile, et m’évade. Les rayons projettent leurs flèches sur les écorces environnantes, et les yeux de Guinness commence à somnoler. Moment parfait, où l’on s’en remet à la lumière.

Tandis que le bucolisme s’estompe, je regarde ma tulipe, qui semble saigner la réalité ; cette réalité à laquelle je me confronte sans cesse.

Tout en souriant, je ramène la terre autour d’elle. Si elle doit fâner, que ce soit ici.

Soudain, j’ai eu besoin d’elle pour supporter ma vie. Mais sur les délices de la vie, quelle prise avons-nous vraiment ? Ils ne sont qu’indice, fragment, plants sur la comète. Et, tandis que nous retourneront notre champ des possibles, nous passeront à côté d’une si belle vérité :

Le bonheur, c’est de ne pas oublier d’être heureux.

(sourire)

Sans s’en rendre compte, nous voilà de retour à la ville, bourgeon bougon, qui déteint tout ce qui y vit. Souffrances et tristesses volettent, feuilles mortes parmi les pétales.

Et pourtant mes amis, il n’est pas encore venu, le temps des floraisons funèbres.

Teckhell

Coupleurs d’énergie

« On lit comme on aime, on entre en lecture comme on tombe amoureux : par espérance, par impatience. Sous l’effet d’un désir, sous l’erreur invincible d’un tel désir : trouver le sommeil dans un seul corps, toucher au silence dans une seule phrase. »

  • Christian Bobin

Le paysage défile rapidement. Dans un train, deux vieux enfants feignent de s’assoupir tout en se rapprochant l’un de l’autre. Plus rien d’autre ne compte, les camarades alentours n’y changeront rien. Un amour va éclore, et ces cœurs vont fleurir. Quelques affections maladroites, et puis le premier baiser ; le premier de toute une vie, de celui que l’on n’oubliera jamais. Les lèvres se séparent, et leurs regards sont empreints d’une telle douceur… Aucune question, aucun doute : ils vont partager leurs vies un temps, et être heureux. Quand on aime, on ne conte pas : la fable est si belle, qu’il serait dommage de ne pas y croire.

6 ans plus tard. Je foule le trottoir, seul. Marche rapide dans une rue que je connais depuis longtemps. Sur un mur, une phrase simple, comme évadée.

je ne t’en veux pas

Aucun point, pas de majuscule, des mots presque sauvages. On a tous connu une phrase, un lieu avec qui l’on est familier, et qui brusquement prend une dimension si intime qu’il nous touche en plein cœur. Dans le calme, la vérité pénètre et un verrou saute ; on chancellerait presque…

Les pensées défilent, nues. Tout ce que l’on s’était juré de ne jamais oublier, puis que l’on a voulu oublier. Soudain, on se rappelle de tout.

Petit sourire, les yeux se détournent du tag. “Je suis seul, cela n’a plus d’importance. Je me suffis à moi-même. Après tout, depuis le temps…”. L’amour-propre n’a jamais aussi bien porté son nom ; épris puis mépris, passer à autre chose, en attendant la lettre haine. Dernier regard moqueur, avant de reprendre la route et de passer en revue les couples en revue de mon entourage, présents ou passés.

Le bilan n’est pas fameux. Des statuts sociaux qui se font et se défont. Peu de belles histoires. Je suis satisfait.

Le soleil est haut dans le ciel, et à chaque pas je piétine mon ombre. Les souvenirs des romances passées retombent doucement. Mais le sujet est lancé, et des versions différentes vont se confondre au fil de mon discours pensif.

Tout au long de notre parcours, on croise des couples de toutes sortes. On voit le début, la fin, quelques passages amoureux. Si on est un bon ami, on est là pour les moments importants. Et puis on nous dit c’est fini. Quelquefois, l’un d’eux raconte leur histoire.

Comprendre quelqu’un n’est déjà pas simple, alors comprendre le cycle d’un tandem… Il faut ici discerner l’amour sans retour de la réalité du couple, ce qui pourrait s’apparenter à la différence entre rêver de quelqu’un et se réveiller à ses côtés. L’affection est différente, elle change de nature lorsque tout commence ; sublimée, elle révèle toute sa complexité et sa dualité.

J’ai beaucoup aimé, sans rien en retour. C’en est presque devenu une habitude, à tel point que j’ai renoncé à la colère et l’amertume. Après tout, si la personne ne partage pas mes sentiments, je doute qu’elle attende avec hâte mon ressentiment.

Mais bon, je n’ai pas à me plaindre. J’ai eu mes bons moments, et je ne regrette pas ce que j’ai vécu. Je me souviens de chaque début, de chaque fin, avec la même émotion. Ce furent de belles histoires, qui m’ont appris des choses simples, essentielles, comme par exemple : “L’amour n’est pas exigeant. Ce serait même plutôt l’inverse”.

Je veille toujours à me tenir au courant de celles qui ont partagé un temps ma vie. Pas par nostalgie, en tout cas plus maintenant. C’est juste que j’ai envie qu’elles aillent bien, qu’elles soient heureuses. Oui, je me demande vraiment ce que je donnerais aujourd’hui en tant que concubin.

Rappelle-toi ce que tu es

En un sourire brisé, une implacable lucidité étreint ce cabotinage hésitant. Les histoires, les personnes avec qui l’on a été ne seront pas équivalentes et ne le seront jamais ; il en est de même pour l’empreinte qu’elles laissent en vous. Lorsque l’on réalise avec vertige l’emprise de cette personne sur vous, et le mal qu’elle déchaîne, il ne reste qu’une rage impuissante et revancharde. Jamais vous ne voudrez vous en débarrasser, car c’est tout ce qu’elle vous a laissé. Ce n’est même plus une question d’amour, tout au plus une vieille douleur détricotée. Ce n’est qu’après quelques années que l’on se rend compte avec effroi que l’on a tout simplement poursuivi son œuvre, et que vous méritez la même haine que vous lui portiez au temps jadis.

Les années passent, et l’on finit par admettre qu’il y a des différences entre ce que l’on voudrait être, et ce que l’on est. J’ai vu de quoi j’étais capable, les bons comme les mauvais moments. Je me suis dépassé, j’ai changé, je me suis sacrifié pour quelqu’un à qui je tenais. J’ai cherché à devenir meilleur, pour elles, pour nous. Mais je n’ai jamais pu me prendre en compte, jamais vraiment réussi à conjuguer mon bonheur avec celui de l’autre.

Et puis l’on se met à mentir, à se sacrifier encore et encore, par paresse : triste pour l’autre, triste pour le couple. On est déjà parti, et ce sentiment est insupportable. Bientôt, on n’arrive même plus à se mentir à soi-même, tant les ficelles sont apparentes. On aimerait que les gens en parlent, qu’ils les dénoncent, parce que l’on n’aura pas le courage de le faire. Et puis vient le temps de la provocation, où l’on donne sa version des faits d’un amour passé, non édulcorée, et que les gens s’offusquent. Oh, pas tant parce que ça les choque, mais parce que cela va à l’encontre de ce à quoi ils aspirent à croire, de ce qui est de bon ton. La colère croît, obscurcit les bonheurs, dénature un amour qui a pourtant existé, et n’en laisse que des sarcasmes. Quelquefois, de jolis souvenirs reviennent fleurir et couvrent de pétales les vieux ravages. L’histoire n’appartient plus qu’à elle-même, et reprend vie ; c’en est bouleversant.

Les poings serrés, j’arrive devant chez moi. 6 ans, depuis ce train…

je ne t’en veux pas

Non, je ne t’en veux plus. Je suis passé à autre chose. C’est juste que, tu sais, on était tellement beaux. Je t’aimais tellement. Nous étions au-delà de tout.

La réflexion meurt petit à petit, tandis que la clef enclenche le mécanisme de la porte.

Non, je ne suis pas prêt pour retrouver quelqu’un. La conjoncture n’est pas bonne, je ne suis plus qu’une ombre. Elle mériterait mieux. La paix, oui, la paix. Et puis le rêve, et puis la vie. La vie, enfin. Adieu, pertes et fracas.

La porte s’ouvre, sans aucune réponse.

Émoi, émoi, émoi.

Teckhell

Répartie pour un tour

« La vie ressemble à la maladie en ce qu’elle procède par crises et usure progressive, comme elle comporte aussi ses améliorations et aggravations quotidiennes. Mais, à la différence des autres maladies, la vie est toujours mortelle. »

  • Italo Svevo

Lis ce livre

La phrase est anodine, le geste bienveillant. Généralement, l’ouvrage a plu, et devrait nous plaire. Pour ceux qui me connaissent, je lâche généralement un bon mot quant à ma maladie ; une façon de faire bonne figure. Le rire est un désespoir si agréable.

La gravité… Je ne l’emploie plus vraiment dans mon quotidien. Elle ne correspond que rarement à la réalité, et la réalité n’est qu’un amas de faits. Je ne fais plus confiance qu’à cela. Ma subjectivité, ma gravité, mon absurde ; une vie faite d’accidents et la théorie du cahot. Être en roue libre, tout ça parce qu’un jour, on a perdu le fil conducteur.

(sourire)

Une fois le livre en main, je le dépose presque immédiatement. Faible prudence. Quelquefois, je me fais intrépide, m’attaque à la quatrième de couverture. Et puis je me sens partir, les mots perdent leur sens. Alors je le repose, et remercie la personne.

J’aimais lire les beautés. Il y a tant de choses à dire, et les lignes semblaient ne jamais s’arrêter. Classe littéraire, bibliothèque honorable, petite culture livresque… Du coup, les gens continuent de m’en offrir régulièrement, comme si rien n’avait changé. C’est peut-être mieux, tant je m’acharne, tant je me bats. Ils méritent de ne pas y croire.

Une fois seul, je le repose une troisième fois, cette fois-ci sur la pile des ouvrages esseulés. Je les laisse visibles, de sorte qu’ils sont la première chose que je vois lorsque je me couche et que je me lève. Mise en scène idéal d’un affrontement factice et distant d’une peur devenue viscérale.

Mais récemment, on m’a confié un livre, que je devrais retourner un jour quand je l’aurais lu : ‘L’homme révolté”, d’Albert Camus. Et, pour cette personne, j’ai envie d’essayer.

C’est une relation tissée par hasard, construite au fur et à mesure d’échanges et de débats. Nos différences malgré des ressemblances évidentes s’expliquent peut-être par le fait que nous sommes à différents moments de nos vies. Toute la saveur de la chose est qu’aucun n’est le mentor de l’autre, et chacun fait entrevoir à l’autre ce que la vie représente.

Il a lu, beaucoup. De nombreux livres de nombreux philosophes. Il retient et en parle, de temps à autre. Je suis par épisode son évolution, son calme qui croît. Même si je ne lui ai jamais demandé directement, nul doute qu’il serait un partisan de l’acquis ; pour ma part, et à mon grand regret, je m’en remets à l’inné. Les savoir-faire m’échappent, quelques connaissances subsistent, mais mon orgueil continue de clamer qu’acquérir, se construire, c’est se trahir. Ne rien retenir, sans pouvoir changer sa nature, et subir l’instant. J’en souffre : dans mes études, dans mes relations personnelles, amoureuses.

L’instinct et la valeur ne font pas bon ménage. Pour devenir meilleur, on doit renoncer un instant à soi, se dépasser. Et je suis trop faible pour ça, aujourd’hui.

En terminale, lorsque j’ai eu mes premières passes d’armes avec la philosophie -7 ou 9 heures par semaine si ma mémoire est bonne, j’ai méprisé dès le début cette matière. Je ne lui ai laissé aucune chance, tant j’étais furieux de voir tous ces auteurs présenter avec un tel professionnalisme leur vision du monde. Ils évoquaient un à un chaque sujet, piétinant l’intime, souhaitant tout révéler, expliquer. Mon point de vue n’a pas vraiment changé depuis, même si je saisis mieux leur démarche.

Alors m’attaquer à un livre de philosophie, imaginez bien que c’était un combo cocasse. Mais justement l’espièglerie de la situation m’a donné le courage suffisant pour tourner la première page, la plus difficile.

Les mots commencent, le style se distille doucement. Les phrases fusent, intelligentes ; un raisonnement se met en place. Je commence à comprendre pourquoi il a choisi de me le montrer, à confronter mes idées ou me reconnaître face à la splendeur d’une verve intemporelle. Une lecture intelligente, qui me mènera quelque part. Et puis, une décharge. C’est le signal. La main lâche le livre. Il se pose sur les couvertures, se referme doucement. Les pensées s’enchaînent, sans aucun rapport, sans aucune vie ; ce n’est plus moi. Volte-face, le visage contre le matelas, les yeux se perdent. Je lutte, folie contre folie, la force du caractère contre le désespoir du corps.

C’est affreux, de ne plus pouvoir, de ne plus vouloir voir. De se retrouver à terre alors qu’on t’a appris à toujours faire face. Sentir que l’on se craquelle un peu plus, que l’on se brise une nouvelle fois. Et puis, la foudre.

Réveil peu après. Je ne sais pas où je suis, quelle heure il est, et qui je suis. On ne s’y habitue jamais vraiment. Petit à petit, retrouver son existence, ses craintes, ses désirs… Ce mal durera toute ma vie.

Le livre est tombé par terre. Je le ramasse, le pose sur ma table de nuit, marque la page. Je continuerai, fut-ce au prix d’une fureur ravie. Ce n’est pas la guerre, c’est une bataille ; ça, je peux le gagner.

Tandis que je promène Guinness, je repense à mon stage. Il est temps pour moi de me retirer du milieu de la psychologie : je n’y ai pas trouvé ce que j’ai cherché (pour peu que je sache ce que je cherchais). L’année prochaine, je vise une formation dans le milieu de l’enseignement ; aussi me suis-je débrouillé pour passer du temps chez les maternelles. C’était principalement du travail d’observation, quelques tests de langage. L’occasion de revenir à un travail plus cadré qu’à la faculté. Avec soin, ils tracent de grossières boucles, manient les sons, grandissent au jour le jour. Leurs émotions semblent pures, absolues. On a envie de les suivre, de les porter, observateur souriant. Soudain, plus rien ne compte. Les combats, les certitudes, les souffrances, la folie… On n’est même plus dans le domaine de l’espoir : seule la vie importe. Ne reste qu’un sillage lumineux, qui traverse certains regards.

Teckhell

Credo Rémi

« Certitude, servitude. »

  • Jean Rostand

Lorsque je regarde distraitement les années semées, et plus particulièrement les écrits essaimés, j’aperçois une colère. Celle-ci a doucement laissé place à une amertume médiocre, une fausse sagesse. C’est un confort dont on ne sort pas aisément, persuadé secrètement d’avoir compris le monde et arguant son inexplicable charme. Sans le souffle de ma colère, ma vie prend poussière.

Tu sais, avant, je me suis battu. Et regarde où ça m’a mené.
Alors maintenant, je m’écrase, je laisse dire.

Cette phrase, mon père l’a dite il y a longtemps. Un désespoir relâché dans l’air, comme un ballon triste. Je ne veux pas de ça.

Je me suis jadis rendu compte que les chagrins étaient pareils à des cailloux dans la chaussure. Depuis, je porte des tongs, tout en continuant à fouler le sentier. Au moins l’on profite de la vue.

“Les gens déçoivent. N’attends rien d’eux.”

J’aime ma sœur. Quelquefois, je lui donne des conseils. Elle choisira ce qu’elle veut, ce qu’elle a envie de croire. Je veillerai sur elle.

Paradoxalement, ce sont les autres qui nous font nous sentir si seuls ; nous dépassant toujours, inatteignables. Tous les sentiments finissent un jour par se sauver pour rejoindre la côte, destination d’un peuple aux yeux brillants. Et l’on accuse seul l’écume de leur devenir, quand ils s’en retournent au port.

Il est aisé de pester contre le bois mort et, des maux, tenir un phrasé mélancolique. Le présent de vérité générale est si commode, pour meubler ses certitudes. Mais planter un arbre fruitier, et cueillir l’espoir, ça, c’est une toute autre lumière. Le combat de toute une vie, où s’ébrouent les saisons.

Emmène-moi loin, loin ! Emmène-moi, là où les couleurs poussent.

Teckhell