Archives mensuelles : janvier 2012

Océan magnifique

« Il y a en amour la grâce d’une certitude. »

  • Iris Murdoch

Elle danse, danse et virevolte.

Ses petits pas légers la portent, loin, loin… Dans son sourire, tout paraît si simple.

Elle danse, danse et virevolte.

Assis dans un canapé, non loin, je contemple. Quelquefois, des petits bonheurs croisent notre route, et les yeux pétillent.

Quelquefois je détourne les yeux, afin qu’elle ne me voit pas l’épier. J’aimerais lui passer la main dans les cheveux, lui dire à quel point sa joie est jolie mais… La scène est si belle, que je décide de la laisser intacte.

Je reste songeur, mon verre d’alcool à la main. Nos enivrements se font face, tandis que des odes naissent. C’est une tendresse poétique, qui ne rime à rien, et qui pourtant me bouleverse.

L’élégance de ses mains, la finesse des détails, la splendeur du moment : tout est parfait.

Nos deux mondes s’entrechoquent faiblement, comme autant de vagues à l’âme. Chaque brisant voit apparaître mille mots à la surface, puis ils chavirent, comme autant d’épaves retournant à l’abîme.

Puis doucement elle s’éclipse, lumineuse.

Teckhell

Franchise postale

« On ne trouvera jamais meilleur messager que soi-même. »

  • proverbe français

C’est souvent le soir. Ma sœur finit toujours par s’endormir, me laissant seul à mon ouvrage. Je m’arrête de temps à autre, pour la regarder dormir…

Des brouillons sont éparpillés sur mon ordinateur, un stylo de rechange traîne… La mécanique est bien huilée. Et pour cause : je n’écris presque plus par écrit. Mis à part l’administration et les partiels, j’ai fini par délaisser ce support.

Mais ça… Toutes ces lettres, c’est important.

Chaque année, le plus souvent l’été, j’envoie aux quatre vents des lettres, des cartes postales à ceux à qui j’ai envie de parler. Oh, je ne leur relate pas vraiment le temps qu’il fait, ni un étalage des activités disponibles. Non… Il s’agit de dire ce qu’on a à dire.

Au mieux les gens vous diront que je suis réservé, au pire que je suis un hypocrite : les avis diffèrent. Toujours est-il que je parle peu, et que je me confie encore moins. Sous mon apparente chaleur, je demeure un type extrêmement froid et désabusé. Ce n’est pas un effet de manche, ni un genre que l’on se donne, mais juste un constat quelquefois embarrassant dans les relations sociales.

C’est d’autant plus fâcheux quand on croise des belles personnes. Ces personnes qui vous font douter, qui vous ouvrent de nouvelles perspectives ; il n’y a rien de plus excitant que de sentir une vie nouvelle vous frôler, et vous proposer de faire un bout de chemin ensemble.

Je suis le premier à dire que rien n’a de sens, que rien ne dure… À vrai dire, la première fois que ce constat m’a traversé, j’avais 7 ans et j’étais à Disneyland. J’ai terminé mon raisonnement en avouant à mes parents que je voulais me suicider. Oh, je vous rassure, j’ai écarté cette idée depuis quelques années maintenant : si l’intérêt de vivre est relatif, l’intérêt de mourir est encore plus sujet à controverse.

Rien ne dure. D’ici quelques années, il est probable que j’aurais perdu de vue certains de mes compagnons. Peu importent les raisons. Ce qui compte, c’est de dire ce qu’on a à dire avant. J’ai longtemps vécu avec l’espoir des fins grandioses. Sans succès.

Lorsque je commence à rédiger mes cartes, je repense toujours à la première que j’ai écrite et dont je me souviens. J’étais tout jeune (6-7 ans), et un gamin venait de m’envoyer une lettre. Ma mère m’avait alors encouragé à lui répondre, fut-ce par politesse. Et face à cette page blanche, je me rappelle avoir pleuré, d’une part parce que je ne voulais pas lui répondre (dans mes souvenirs, c’était un connard, j’espère que les gens changent) et d’autre part, parce que je ne savais pas quoi lui répondre.

J’estime l’écrit, probablement bien plus que l’oral. L’expression “paroles en l’air” sied merveilleusement à mon opinion sur la question. Après, cela s’explique : j’ai un rapport compliqué avec les gens, ma mémoire et ma concentration partent chaque jour un peu plus à vau-l’eau… Difficile de s’en remettre à une réalité qui ne cesse de s’éroder. L’écrit structure, fige, peut se relire. C’est un repère, une marque.

La lecture est un moment intime : on est seul(e) face aux mots, au message. Il n’est pas question d’évoquer de grands principes d’amitié, non. J’écris pour établir un rapport en soi. À cette date, pour cette personne, j’aurais eu ces sentiments, cette considération. Les années peuvent passer, nous pouvons ne plus nous parler, mais cette affection, elle, sera éternelle.

Chaque carte est différente. Je m’applique autant que je le peux lorsque j’écris de mes doigts noueux. Elles n’appellent pas à une réponse, à une discussion future à propos de cet écrit ; c’est un présent.

Certains remercient, d’autres se taisent. Quelquefois je reçois des cartes en retour. Je les accroche avec soin, les relis de temps à autre.

Même si au quotidien, on essaie de faire sa route, on vit par et pour les autres. Certains plus que d’autres ; qu’importe, il n’y a pas de bon choix. Ce qui compte, c’est de regarder dans le rétroviseur, et se dire qu’on peut continuer de rouler.

Quelquefois, lorsque ma mémoire me joue des tours, je me surprends à relire mes brouillons. Je me sens si misérable. Mais les afflictions ne sont jamais que de passage tandis que les mots, eux, gardent fièrement le passé.

 

Teckhell

Rose des sables

« Dans un grain de sable voir un monde,
Dans chaque fleur des champs le Paradis. »

  • William Blake

La liberté est un sentiment qui apparaît en des lieux et à des moments singuliers. Elle se déploie comme un vieux drap, de façon un peu gauche. Sa poussière nous étourdirait presque, tant les moments où l’on a vraiment l’impression d’avoir le choix se font rares en vieillissant.

(sourire)

Les landes me manquent. Les longues promenades le soir, au fil des dunes, tandis que l’on se surprend à être heureux. De temps à autre, le vent se lève, et emporte doucement le sable vers une colline voisine. La végétation s’éparpille, toute étourdie, aux alentours.

Tout ici relève d’une étrange majesté, et l’on s’y sent roi et graine à la fois. Assis parmi le sablon, on trace d’un doigt distrait des sensations, des souvenirs. On aimerait faire l’amour ici, et que les soupirs des corps s’enfoncent un peu plus dans la chaleur de cette éminence.

Ces pas légers nous amènent près de l’eau, qui ronfle et bougonne dans son grand panier. Des fois, elle vient nous renifler, avant de s’en retourner à ses écumes. C’est une frontière sans fard, où le soleil voit rouge. Et tandis que les dernières lumières scintillent et glissent dans ce vague paysage, on fait un temps la paix avec soi-même.

Bien que ce que l’on ressent dans ces moments-là est unique, j’espère qu’un jour j’aurais quelqu’un à qui tenir la main. Il y a bien des bonheurs.

Teckhell

Monter pour des cendres

« Les doutes, c’est ce que nous avons de plus intime. »

  • Albert Camus

Petit, j’étais fasciné par les cartoons ou les films, lorsqu’un personnage en assommait un autre. En un instant, le pauvre s’écroulait. Quelquefois, il vacillait, dans un ultime effort… Je restais perplexe quant à cet état d’inconscience soudain. Que ressentait-on ?…

Tu sais, après tout ce que tu as vécu…

Cette phrase, ma grand-mère me la répète souvent. Elle me met mal à l’aise. Je ne me reconnais pas dans la souffrance qu’elle m’attribue… Ma souffrance est banale, ordinaire. De celles que l’on traîne toute sa vie, comme une paire de tongs fatiguées. Je peux en parler, l’embellir, user de drames pour l’appuyer, mais je ne serais jamais plus brisé qu’un(e) autre.

Le plus souvent, j’en ris. J’en ris, car il y a de quoi rire, des blagues à monter. Je m’abandonne avec plaisir à cette folie douloureuse, au milieu de tous ces combats perdus. De ce monde en poussière, je bâtis des châteaux de sable.

Derrière toute certitude, il y a eu un chemin pavé de doutes. Si l’on choisit de ne plus le fouler aujourd’hui, on ne peut oublier chacun des pas accomplis.

Avant les rires, il y a une détresse, de celles dont on ne peut soutenir le regard.

(soupir)

On dure le temps qu’on dure. Quelquefois, des existences se dérobent, tandis que le hasard chante. Quelquefois, il s’agit de personnes qui vous sont chères, et vous les voyez s’éteindre.

Tels des phœnix, les gens vivent à en mourir.

Lorsque je regarde ma sœur fleurir aujourd’hui, et que je vois les couronnes de fleurs parsemer le tombeau fraternel, je me dis que le printemps a des douleurs bien singulières.

On ne cesse de rencontrer des silhouettes lardées de cicatrices. On imagine le tranchant, on croit voir la plaie, mais l’on ne touchera jamais la blessure.

Petit, nourri aux films d’action, je n’espérais qu’une chose : avoir des cicatrices, des tatouages, comme autant de preuve d’une vie dévorée, où les luttes et les identités se seraient succédées. Finalement, je n’en ai eu qu’une.

Dans ma famille, on ne se plaint pas. On endure, on reste digne, face au vent.

Lorsque j’ai perdu pied, lorsque j’ai été balayé… Lorsque je suis tombé malade…

C’est un mal pernicieux, aux doutes moqueurs. Personne ne sait jamais vraiment où vous en êtes. Il n’y a pas de signes.

La première fois, j’étais debout. Jamais, non jamais je n’avais été fauché ainsi. Et tandis que la conscience s’éloigne, on ne peut lire dans le regard qu’une triste poésie…

Il y a eu d’autres crises, à la croisée du corps et de l’esprit. Malgré toute la force dont on se croyait investi, on se surprend à supplier, à craindre. Il ne reste plus rien, si ce n’est vivre un abandon où chaque réveil qui suit ébranle un peu plus la raison. On a mal. La volonté, le corps tout entier ploie. Les hurlements se perdent. Et pourtant, comme toute chose qui arrive fréquemment, on s’y fait. L’attitude change, la douleur aussi. On relève la tête, téméraire.

Puis, tout recommence. Tant et si bien, qu’on finit par ne plus discerner le crépuscule de l’aube. Dans cette hallucination décadente, on évolue, jusqu’à la chute. Il est des sensations que l’on n’oublie jamais.

Un jour, tandis que je m’égarais à nouveau, j’emportai dans ma chute une vitre, ironique symbole d’un reflet sans cesse fêlé. Le verre pénétrant ma chair me laissant conscient, je me retrouvai nu, en sang, spectateur d’un corps et d’un esprit en ruines. Certains combats ne peuvent être remportés.

Tu sais, après tout ce que tu as vécu…

Peu après cette phrase, ma grand-mère a l’habitude de raccrocher. Je reste debout, le téléphone en main, songeur. Quelques sages réflexions défilent, les unes après les autres. Vaines. On aimerait soudain tout connaître de nos proches ; leurs douleurs, leurs combats. Au fond, braver le quotidien est le dernier héroïsme qu’il nous reste. Nous, les phœnix.

 

Teckhell

L’époque des temples vides

« Une poule devant une omelette contemple l’ensemble de son oeuvre.

  • José Artur

Bien que dans ma vie, j’ai pris pour habitude de marcher seul, je continue d’aimer. Il s’agit la plupart du temps d’un amour brouillon, passionnel. Mais il est toujours sincère.

Quelques traits d’esquisse font rarement un dessin. Pourtant, c’est le début d’une idée. La sensation d’une caresse qui lentement, modèle avec douceur de petits bonheurs simples. La création, c’est comme un visage qui s’éclaircit.

Je suis à un âge où l’on ne sait plus vraiment si l’on doit parler de fille, ou bien de femme. Heureusement, la plupart de mes pensées se contentent de sensations fugaces, je laisse les mots à des contemplations plus moroses.

Souvent, quand j’étais plus jeune, je partais du principe que c’était à la fille de faire le premier pas, et de me mériter. C’était une façon comme une autre de dissimuler sa timidité. La morale est sauve, ça ne m’a pas vraiment servi.

Disons qu’aujourd’hui, je crois me connaître un peu mieux. Ça n’a visiblement pas augmenté mon sex-appeal, mais c’est toujours ça de pris. Je vis de belles contemplations. C’est plus simple. Ça atténue la solitude. Mais ne rien attendre des autres est une entreprise absurde, où l’on se déçoit continuellement. On finit toujours par regarder le ciel.

J’ai cru à des futurs, quelquefois avec des amies proches. C’est une souffrance singulière, où l’on ne perd ni ne gagne rien, si ce n’est la sauvegarde d’un lien. Débâcle d’une bataille qui n’aura jamais lieu, où le doute côtoie l’évidence. Et puis on se surprend à persévérer, à essayer de “marquer des points”. Jusqu’à ce que le chaos se décante, et que la réalité revienne se pelotonner autour de nous.

Quelquefois, les regards se croisent enfin, et brillent d’un éclat sans équivoque.

D’autres fois, eh bien… vous voyez leurs regards se croiser. Et beau joueur, vous leur donnez votre bénédiction, empreinte d’une triste tendresse. Ce genre de péripéties m’arrive un peu trop fréquemment à mon goût. Le dernier réveillon, par exemple. Pourtant, c’est quelque chose à laquelle je ne renoncerais pour rien au monde. Il y a bien peu de merveilles dans la vie qui font encore se serrer mon cœur.

J’ai rencontré tout au long de mon parcours bien des avis sur l’amour, l’affection, le sexe. Théories, témoignages, règles d’or… De cette richesse réjouissante, je ne garde qu’un sourire en coin. La plus belle des courbes.

Les époques se succèdent dans nos vies. Chacune se croit éternelle. Elle s’élève, se pare d’expériences, comme une belle robe d’été.

(soupir)

Tout se fane si vite. On voudrait ne jamais quitter le pré. Ce pré où quelquefois, une brise vient taquiner l’herbe, et remuerait presque la terre.

 

Teckhell

Brouillard de guerre

Nous y voilà. Les partiels terminés, l’existence retombe doucement. Je jette un œil derrière moi. Guinness dort d’un sommeil pantouflard, personne dans la colocation.

(soupir)

C’est difficile. C’est difficile, de revenir écrire, sans jeter un regard sur ce qui s’est passé entretemps. J’ai toujours été un homme de bilan, à l’excès, me complaisant dans la nostalgie d’un âge d’or. Mais on dirait que cette fois-ci, il y a bien peu à dire.

Au départ, écrire semblait être la seule chose où j’étais bon ; il fut une période où j’écrivais beaucoup. Et puis, j’ai compris que je n’étais pas si bon que ça. Qu’au final, la seule raison pour laquelle je continuais, c’était parce que c’était la seule façon que j’avais de me parler.

Ma mère m’a appris à vouloir être heureux dans la vie, coûte que coûte ; mon père m’a appris le sens des responsabilités, de l’honneur, du sacrifice. Mais dans ma famille, on ne parle pas. C’est une vie en sourdine, qui a ses qualités comme ses défauts. C’est une vie qui marque, une vie où on se sent seul.

Alors j’ai écrit. Oh, pas énormément… Disons, régulièrement. J’ai dénoncé, crié dans l’abîme. J’ai dit ce que j’avais à dire ; j’ai séduit, manipulé. J’ai piétiné des gens avec douceur, avec comme seul intérêt de n’en apprendre qu’un peu plus sur moi.

Et puis, la source s’est tarie. Et ma vie est redevenue silencieuse. L’existence que je vis, le destin que je mène depuis…

Ce furent des années difficiles. Durant le BAC, je suis tombé malade. Un truc incurable, m’atteignant dans le dernier domaine où je pensais pouvoir encore garder la tête haute : le contrôle. Perte de mémoire, perte de concentration, peur de lire… Vinrent ensuite la plupart des étapes : déni, colère, marchandage, dépression, acceptation…

Je n’ai pas réussi à retrouver quelqu’un entretemps. C’est peut-être mieux comme ça. Mes pas m’ont mené jusqu’en psychologie, où j’ai appris à mieux connaître et comprendre les autres, sur le papier. J’ai souvent été un confident, un adepte de la friendzone ; il était à présent temps de rajouter quelques connaissances à ces pratiques. Ce ne fut qu’un autre moyen pour essayer de comprendre le malaise de ma vie.

Au fil du temps, je me suis réconcilié avec l’amitié. J’ai cessé de regarder en arrière, pour savourer la valeur des personnes et des vies, sans jamais rien attendre en retour. Certains de mes ami(e)s, plus hardi(e)s ou concerné(e)s que d’autres me parlaient quelquefois de mes vieux écrits, et me proposaient de reprendre. J’ai toujours eu le sourire triste.

Et puis, Il y a eu cette fin d’année 2011. Une fin d’année où j’étais encore plus paumé que d’habitude. Je me suis laissé aller à certains excès, je me suis autorisé à être heureux. J’ai retrouvé certaines personnes, et la joie a reparu, comme une aube qui se lève dans le brouillard. Soudain, quelques instants prirent toute leur ampleur, et redonnèrent sens à mon itinéraire.

Oh, certes, il n’y a aucun panache à croire en l’espoir, une bouteille de champagne à la main. Mais il n’y a aucune raison de vivre sans espoir.

J’ai souvent ri, moqué, raillé, aveuglé par la dimension absolue que prenait le moindre de mes choix. À en oublier l’ambivalence des choses, des personnes. Il est temps que cela cesse.

Tout au long de mon chemin, comme tant d’autres, des phrases fugaces ont traversé mon esprit. Assez pour hanter une journée, pour rêver de mélodies et d’odyssées. Suffisamment pour se rendre compte qu’il n’y a guère que la poésie de la vie qui nous appartienne.

 

Teckhell